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Algérie 50 ans après l’indépendance : défis et perspectives

Colloque du 21mai à Sciences Po Paris 2e partie

mercredi 13 juin 2012, par Gérard C. Webmestre

Après les rappels historiques et la situation économique, le colloque aborde le vif du sujet : où en sont aujourd’hui les libertés en Algérie ? quelles sont les initiatives en cours ? quels sont les changements indispensables et comment y parvenir ?

Initiatives de la société civile et libertés.

Séquence extrêmement vivante dévoilant à la fois des utopies, des constats alarmants, des réactions et des initiatives de la société civile qui redonnent de l’espoir !

L’intervention d’ Hacène Ouali, journaliste d’El Watan, remet nos idées en place, car nous pourrions être abusés par une apparente liberté de la presse. Après 1992 et l’arrêt du processus électoral qui avait consacré la victoire du FIS, la presse s’est retrouvée " entre deux feux" : les islamistes et le pouvoir, c’est-à-dire "le cimetière et les tribunaux". D’octobre 1993 aux années 96/97 on décomptera 57 assassinats de journalistes de presse, des crimes restés impunis. Des journaux ont été fermés. D’autres étaient en "semi-liberté", l’État conservant le monopole de la publicité et de l’impression. Depuis cette période les radios et la télévision sont demeurées entre les mains du gouvernement. Et de nouvelles lois liberticides rendent impossible le lancement de nouveaux journaux et instaurent un harcèlement juridique.
Le code pénal de 2001criminalise le délit de presse. C’est ainsi qu’un ancien directeur du Matin a passé deux années en prison. Aujourd’hui avec 111 quotidiens nationaux la presse sert de façade démocratique. Car seulement deux quotidiens francophones et un en langue arabe bénéficient d’une diffusion et d’une impression indépendantes.

Récemment lorsque El Watan s’est étonné de la brusque augmentation de 4 millions d’inscrits électoraux...comme par hasard, est arrivé un redressement fiscal très important...pour "pigistes non déclarés" ! Un autre manière de sanctionner la presse indépendante.

C’est un aspect bien diffèrent que développe Rostane Hamdi membre de l’initiative NABNI ( Notre Algérie Bâtie sur de Nouvelles Idées ). Nabni a rassemblé une cinquantaine d’Algériens des 4 coins de la planète, en réseau international d’expertise, ayant en commun la croyance que "le meilleur est possible pour l’Algérie". A partir d’une boite à idées Nabni 2012 a rassemblé en un an 100 mesures concrètes visant à améliorer la vie du citoyen. Fiches techniques, débats et conférences mensuelles appuient cette démarche qui souhaite s’adresser aux autorités...en n’ayant aucune couleur politique.

(Lors du débat qui a suivi, de nombreuses critiques ont porté sur le caractère élitiste et technocrate de l’initiative).

En lui succédant,Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, se démarque aussitôt de l’optimisme de l’orateur précédant. Car il a noté une accumulation de faits préoccupants : loi sur les associations exigeant l’autorisation préalable, suspicion à l’égard des aides des associations étrangères, justice au détriment des libertés publiques, état d’urgence apparemment levé mais impossibilité de manifester à Alger, interdiction de parler de la "sale guerre" des années 90, ajout brutal de 4 millions d’électeurs. Sa conclusion est pessimiste : un régime qui nie son histoire, qui réprime et va jusqu’à interdire que l’on indique qui est mort durant les années noires...est un régime qui ne porte en lui aucun avenir.

Dessin de Slim

Amine Menadi, fondateur d’ "Algérie pacifique", a pris conscience tardivement de ce régime privateur de libertés qu’il résume en 4 chiffres : 37 millions d’algériens, 24 M de jeunes, 6 M de votants [1], zéro chômeur (officiellement !). Il a inventé une formule : l’Algérie a des médias "indépendants...de leur volonté". Il associe chômage et clientélisme, accès au logement et dépendance, éducation et endoctrinement, libre expression et violence. Rendant hommage a ceux qui chaque jour manifestent dans les rues et à quelques figures célèbres de la contestation populaire il rappelle l’efficacité d’armes non violentes comme le mégaphone, les pancartes et les blogs...

Le dernier orateur du début d’après-midi estYacine Zaid qui, vidéo à l’appui, raconte un parcours particulier riche d’enseignements. Employé dans le sud algérien dans une grande entreprise de restauration collective détenue par des capitaux étrangers, et syndicaliste de l’UGTA, il a mené une lutte acharnée pour de meilleures conditions de travail. Cela lui a valu, avec sa mise à l’écart de l’UGTA (devenu un instrument des autorités), une avalanche de procès et de condamnations dont il s’est sorti grâce à la solidarité internationale. En particulier celle des syndicats des USA, qui ont diffusé ses ennuis sur le web pour l’aider à se défendre. Désormais un de responsables de la LDH algérienne, il continue la lutte sous d’autres formes. [2]

Institutions, politique , gouvernance.

Dernière séquence, avec un diagnostic sévère, mais aussi le sentiment relevé par un des orateurs que le débat a été plus axé sur les controverses passées que sur les propositions pour l’avenir...

Ahmed Bentitour, ex-premier ministre de 1999 à 2000, tente de théoriser les perspectives de changement en Algérie. Il caractérise la situation d’un pays à partir de 4 facteurs : la technologie dominante qui conditionne les institutions, le comportement social et les élites dominantes. Aujourd’hui on assiste à un éveil politique mondial, développé grâce à des moyens de communication rapide et accessibles à tous. La globalisation se développe avec la disparition des États-nations, au profit de pays en réseaux. Mais l’espoir suscité par le progrès se heurte à l’intolérance et aux réactions violentes.

Il décrit ensuite les points communs d’une « région en ébullition » depuis le printemps arabe :
 la contestation installée dans un endroit stratégique de la capitale peut provoquer le départ du chef de l‘État ;
 le dirigeant remis en question ne peut plus compter sur un exil et/ou l’aide étrangère ;
 la police et l’armée malgré les gratifications choisissent le mouvement populaire ;
 de nouveaux moyens de mobilisation de la population comme les réseaux sociaux sont mis en œuvre.

L’Algérie après l’indépendance a choisi de combiner trois modèles de développement : la spécialisation internationale consistant à exploiter une ressource naturelle importante (rente pétrolière) ; le capitalisme d’État qui a conduit à une économie « administrée » et au parti unique ; le développement « auto-centré » hérité d’Amérique latine qui crée un mur protectionniste abritant un régime populiste.

Pour M. Bentitour, tout cela , à part la rente pétrolière qui peut évoluer lentement, est autodestructeur. Mais le changement ne peut venir ni du parti unique ni de ses satellites. II faut, ajoute-t-il, un élément déclencheur s’appuyant sur de nouvelles forces à partir de la mobilisation des citoyens, de la coordination des opposants et d’un renouvellement de l’action politique. Il cite les « Cercles d’initiative citoyenne pour le changement » qui prônent depuis 2009 un changement pacifique (...et dont il est l’initiateur et le leader Voir)

Malik Si Hassen, expert international en économie, estime que le défi de l’Algérie est de « rentrer dans l’âge adulte » sous trois conditions :
 changer de pacte, c’est à dire trouver de nouveaux objectifs fédérateurs en sortant de la logique de la révolution ;
 définir l’ « état-stratège » qui aura un rôle naturel de leader régional surtout du point de vue économique ;
 avoir la capacité d’innovation pour gouverner autrement.

Pour lui l’Algérie est gérée avec les mêmes outils, obsolètes aujourd’hui, qui ont servi à gagner l’indépendance.

Chafik Mesbal, politologue et ancien officier supérieur, pense en préambule que le système n’a plus la capacité de se réformer et craint un dénouement violent, mais la démission des élites peut être compensée par la volonté de la jeunesse. Il revendique pour se différencier de Lahouari Addi la séparation des analyses politiques et « académiques ». Ainsi il maintient que le président Bouteflika contrôle l’armée avant de se livrer à une longue analyse de l’évolution de l’armée algérienne en rappelant que sous Boumedienne, ni l’armée et les services de renseignements (DRS) ne s’imposaient devant le politique. Paradoxe : il qualifie de démocratique le coup d’état de l’armée en 1992 et l’arrivée de Bouteflika pour en arriver à estimer qu’aujourd’hui une armée rajeunie et « technicienne » et le DRS sont déconnectés du politique.

Il estime aussi qu’il n’y a pas d’exception algérienne au « printemps arabe » car le climat d’explosion potentielle n’a été contenu que par des « liquidités financières importantes » et la complaisance des pays occidentaux.

( Durant la discussion sa position sur la neutralité de l’armée sera contestée par plusieurs intervenants, rappelant par exemple que 7 ministres viennent de la sécurité militaire et que M.Mesbal a un "double discours"...)

Le dernier orateur, M. Anisse Terai, algérien, maître de conférences à Sciences Po Paris, dresse lui aussi un tableau peu flatteur de la situation actuelle en estimant que le coup d’état de 1992 aurait « refermé la parenthèse démocratique », que le système serait « prisonnier de l’oligarchie militaire ». Il qualifie les dernières élections de « pathétiques » et pense que le régime autoritaire n’a qu’un « semblant démocratique » avec la survie comme seul objectif.
Après des questions de l’assistance , il ajoutera : « Qu’est ce qui empêche le peuple de gouverner ? C’est un système construit à travers les épreuves. Si l’armée n’a pas le quasi monopole du pouvoir, le DRS fait encore de la politique et empêche une vie politique normale...c’est le garant du clientélisme. La clef de voûte du changement est le repositionnement de tous les services de renseignement. »

En conclusion il juge que le retour à une légitimité du peuple exigerait de quitter celle qui est issue de la révolution.

Parmi les interventions qui ont terminé le colloque :

 « le pouvoir est apparent , mêmes les décisions importantes comme les jugements ne sont jamais prises au sein des institutions » ;
 « ...n’étant pas autorisés à exercer leur citoyenneté des gens sont partis »
 A.Bentitour : « quand vous avez dans un pays la pollution du pouvoir et la pollution de l’argent vous avez la pollution généralisée de l’ensemble des institutions ».
 A. Teraî : « dans le régime actuel les minoritaires sont soumis à des pressions (populisme) » ; ?
 un ancien membre de l’ALN : « le mal est venu du FLN lui-même qui a donné une image de l’indépendance sans contenu... »

Le compte rendu intégral des débats est petit à petit installé sur le site de l’asociation Sciences Po Monde arabe qu’il faut remercier pour l’intérêt exceptionnel du colloque.


Le jour même du colloque, l’agence officielle APS (Algérie presse service) ne rendait compte que des propositions de Benjamin Stora en les citant in extenso Voir. Pour le reste aucune mention des intervenants et de leurs propos...cherchez l’erreur !


[1aux dernières élections législatives

[2Pour plus de détails, lire David contre Goliath se rejoue dans le désert algérien VOIR et AUSSI

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