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Algérie : langue de bois, main de fer, l’armée exacerbe la contestation
dimanche 16 juin 2019, par ,
par Nadjib Touaibia
(L’Humanité Dimanche du 6 au 12 juin 2019)
Loin de faiblir, le Hirak (mouvement) se poursuit avec d’autant plus de ferveur que le visage répressif du système réapparaît. Les manifestants ciblent le chef d’état-major, soupçonné de vouloir maintenir le système à tout prix. La présidentielle, prévue le 4 juillet, a été annulée.
Le temps s’est figé une minute durant ce vendredi 31 mai, quinzième jour du Hirak (mouvement), en hommage au docteur Kamel Eddine Fekhar. Une minute de silence pour crier l’indignation. Arrêté fin mars, le militant des droits de l’homme a quitté ce monde mardi 28 mai après une longue agonie, à la suite d’une grève de la faim de 50 jours, lors d’une détention provisoire dans des conditions inhumaines. Le Mozabite est mort sous les yeux de ses geôliers, dans l’indifférence des autorités. Il est mort pour avoir exprimé ses opinions, pour s’être ouvertement opposé au pouvoir, à ses manœuvres de division des communautés du Mzab. Un crime d’État.
Le Général Salah refuse une deuxième République
Cette disparition rappelle aux Algériens les détentions à caractère politique, les arrestations arbitraires, les jugements expéditifs. Elle leur rappelle aussi que le système contre lequel ils se battent fonctionne encore. L’appel à un dialogue « sérieux, rationnel, constructif et clairvoyant » émis par le chef d’état-major, Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense, survient dans ce contexte. Le général, qui est le seul à s’exprimer au sommet de l’État, livre toutes les semaines une parole en dents de scie : tantôt il menace, tantôt il loue le prestige du « peuple » et de sa relation à l’armée, dénonce les agissements de « bandes » qui veulent leur nuire, ou encore qualifie d’« irréalistes » les revendications du Hirak, mais pas seulement. Il exclut aussi toute transition vers une deuxième République, insiste sur la tenue d’une élection présidentielle « dans les plus brefs délais », malgré le cuisant échec de leur programmation au 4 juillet.
« Ce dialogue doit œuvrer à rechercher les moyens permettant de rester dans le cadre de la légitimité constitutionnelle, dans l’impératif de revenir au plus tôt aux urnes afin d’élire un président de la République conformément à la volonté populaire souveraine », affirme Gaïd Salah. « Il est certain que ceux qui veulent entraver ces efforts nationalistes salutaires sont des individus et des parties qui agissent selon la logique de la bande, et qui marchent sur les traces de ses porte-voix et ses complices visant toujours davantage de manipulation et de désinformation », accuse-t-il.
En attendant, la répression monte régulièrement d’un cran. Les dispositifs policiers se renforcent, les arrestations se multiplient en amont des manifestations, tout autant que les barrages de gendarmes sur les voies d’accès à la capitale le vendredi. La censure bâillonne les journalistes des médias publics. Des personnalités sont interdites de conférence, notamment auprès d’étudiants, dont les rassemblements sont dispersés à coups de matraque.
Pour le départ des 2B : Bensalah et Bedoui
Face à ce scénario d’une langue de bois accompagnée d’une main de fer, les Algériens durcissent le ton de la revendication. Ils rejettent l’invitation au dialogue et continuent à exiger le départ des 2B (Bensalah et Bedoui, président par intérim et premier ministre, tous deux nommés par Bouteflika). Les slogans, affichés au 15e jour d’une mobilisation de plus en plus massive dans toutes les grandes villes du pays, expriment avec clarté la colère et la détermination : « Non au règne des militaires, non à la bande de malfaiteurs » ; « Oui pour un gouvernement de transition » ; « Généraux, écoutez le peuple ou bien partez ! ». « Nous réclamons la libération de la justice » ; « Une Assemblée constituante souveraine pour abattre le système » martèlent les pancartes brandies dans les rues d’Alger, ou encore, « Le peuple luttera avec rage pour la liberté d’expression et l’indépendance de la justice ».
Plus de trois mois après l’éclosion inattendue de la contestation du régime, la crise politique ne connaît pas d’issue. Malgré l’annulation du 5e mandat de Bouteflika ; le départ de ce dernier ; la démission du président du Conseil constitutionnel – un de ses fidèles – le report de la présidentielle prévue le 4 juillet ; malgré une offensive inédite sur le front de la lutte contre la corruption, l’arrestation d’oligarques couverts de soupçons, du frère du président déchu et de deux ex-patrons des renseignements accusés de complot contre l’armée, c’est encore et toujours l’impasse.
« Le pouvoir est principalement responsable de cette situation. L’objectif est de torpiller le Hirak, de trouver le moyen d’y semer la division et de préserver le système », commente Nourredine, jeune retraité qui est de toutes les manifs algéroises.
Ce sentiment est très partagé. D’autant que les partis composant jusque-là le pouvoir (FLN, RND et autres appareils préfabriqués) saluent sans hésiter l’appel au dialogue du général. Les islamistes « modérés » font aussi un clin d’œil à cet ami des Émirats arabes, tandis que les plus radicaux (les salafistes) se montrent subitement
dans la manif du 31 mai, avant d’en être chassés. « Le pouvoir compte les utiliser pour provoquer la violence et durcir la répression », dit-on.
Jusqu’où ira l’Armée ?
Le général, qui se prévaut de la campagne anticorruption, semble sonner le ralliement des résidus du régime dans l’objectif de le remettre sur les rails. « Gaïd Salah est le chef de file du courant de l’armée qui a mis à bas le clan présidentiel. Il entend faire en sorte que celle-ci conserve les commandes dans le cadre du même système. Il ne peut pas imaginer que le pouvoir réel puisse un jour lui échapper », analyse Sabih, étudiant en science politique.
Longtemps fidèle de Bouteflika, le boss de l’armée cacherait-il son jeu derrière le respect affiché de la Constitution conduisant à la tenue d’une élection présidentielle, hors de toute période de transition ? Jusqu’où ira-t-il dans cette logique face à la grande majorité des Algériens déterminée à provoquer une rupture radicale avec le système tout entier ? Le Hirak va-t-il pouvoir entretenir sa résistance jusqu’à l’effondrement total du régime ? Le danger d’un retour de l’islamisme à la faveur de troubles orchestrés par un pouvoir aux abois est-il vraiment écarté ?
Ces questions sont encore en suspens, rien ne permet d’y répondre pour l’instant. Une chose au moins est sûre : la contestation capitalise des acquis à peine imaginables il y a seulement trois mois. Les Algériens arrachent le droit de manifester et de s’exprimer, la jeunesse brise les murs de la peur, ses aspirations deviennent incontournables. Les liens sociaux se renforcent. Les femmes imposent leur présence et leur voix dans les espaces publics. Le Hirak est pour l’instant dans une dynamique de victoire.
Nadjib Touaibia
(Merci à Malika Fecih pour nous avoir communiqué cet article)
Notes
Report de l’élection
Dimanche 2 juin, le Conseil constitutionnel déclare impossible la tenue de l’élection présidentielle à la date du 4 juillet 2019. « Il revient au chef de l’État de convoquer de nouveau le corps électoral et de parachever le processus électoral jusqu’à l’élection du président de la République et la prestation du serment constitutionnel », précise l’institution.
« Il est vrai que la mission du chef de l’État par intérim est d’organiser des élections, mais l’article 102 de la Constitution est clair. Son mandat ne doit pas dépasser les 90 jours. C’est une limite indépassable. À partir du 7 juillet 2019, nous sortons de l’article 102 de la Constitution pour aller vers l’article 7 qui porte sur la souveraineté du peuple »
« C’est alors la légitimité populaire qui prend le relais en déléguant des personnalités et des partis qui vont se concerter pour créer un présidium, une instance présidentielle ou un Comité d’État pour remplacer Bensalah et éviter le vide constitutionnel à partir du 7 juillet. C’est une manière de répondre aux revendications du peuple qui ne veut plus des deux B (Bensalah, le président intérimaire, et Noureddine Bedoui, le premier ministre) ».
Fatiha Benabbou, juriste et experte en droit constitutionnel
Messages
1. Algérie : langue de bois, main de fer, l’armée exacerbe la contestation , 18 juin 2019, 13:22, par Aït Amar
Trois forces en présence
Primo, le Mouvement de protestation populaire, pacifique et gigantesque, engagé pour le changement radical, donc la fin de la Dictature militaro-mafieuse…. Secundo, le Commandement militaire dirigé « collégialement » par quelques Généraux autour du Chef d’Etat-major, Gaïd Salah…. Tertio, les anciens de la SM-DRS, la Police politique secrète, véritable Gestapo des Généraux ultras et faucons, coupable et responsable de milliers de morts, de disparus, de suppliciés, amis aussi d’Extrémistes islamistes et séparatistes qu’elle essaie d’infiltrer dans les manifestations pour saboter et saborder la formidable mobilisation populaire…. La population n’est pas dupe, et les jeunes reconnaissent vite fait ces « islamistes du DRS » et autres « extrémistes du DRS » (séparatistes, autonomistes, pseudo-opposants, extrême-droitistes, etc.)….
Le texte livré ici au débat ne dit rien de tout cela. Il s’inspire de la vulgate pagsiste honni par la population, car le PAGS et ses ramifications (PADS, MJS, etc.) roulent pour les Généraux assassins et prédateurs de la SM-DRS. Ils font partie du « camp éradicateur » (Les Généraux « gestapistes », RCD, PAGS, RND, MPR, etc.) qui avait planifié, mené et déclenché la « Guerre interne / Stratégie de la tension » des années 80-2000….
2. Algérie : langue de bois, main de fer, l’armée exacerbe la contestation , 29 juin 2019, 19:52, par ledoux Jmarc
Une question aux auteurs des articles ;
Dans le processus de reprise en main progressive que l on peut déceler ou craindre dans les derniers événements . la présence des « vacanciers » venus de France peut il avoir une influence ? Et laquelle ?
Volontaire et/ou involontaire …..