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Amnesty International : à Gaza, “une défaite morale de la coopération internationale”

mardi 30 avril 2024, par Gérard C. Webmestre , Michel Berthelemy

Selon le dernier rapport d’Amnesty International, Gaza, représente “une défaite morale de la coopération internationale”. Situation dans l’enclave palestinienne, pratiques autoritaires à travers le monde, intelligence artificielle… Le rapport annuel de l’ONG est alarmant.
Analyse avec Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty France.

Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France. Photo Teresa Suarez/EPA/MaxPPP

Par Natacha Marbot Télérama - 24 avril 2024

« Nous assistons à la faillite morale du système censé nous protéger », estime Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty international France, à l’occasion de la sortie du rapport annuel de l’ONG le 24 avril 2024. Illustré par une « machine à remonter le temps » métaphorique, il est marqué de retours en arrière, tant sur le plan des droits humains que des libertés publiques, notamment à cause de l’essor « effréné » de l’intelligence artificielle au service d’États aux pratiques autoritaires. Le document, donc la lecture est assez désespérante, note toutefois que « nombreux ont été celles et ceux qui, en 2023, ont résisté ».

La préface de votre rapport déclare que le nombre de personnes vivant en démocratie est revenu au niveau de 1985. À quoi correspond cette date ?
La référence vient de l’institut de recherche suédois V-Dem, qui détermine qu’en 2023 autant de personnes vivent dans un État de droit – soit des pays qui respectent la séparation des pouvoirs et la liberté d’expression – qu’en 1985… C’est-à-dire avant la chute du mur de Berlin, avant la libération de Nelson Mandela, avant la fin de la guerre froide.

Vous dites, par ailleurs, que nous entamons une « descente aux enfers » dans un monde qui revient sur les acquis de 1948. Pourquoi cette date ?
C’est sans doute un des reculs les plus importants que nous vivons actuellement. En 1948, le monde partageait une forme d’euphorie avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et la mise en place, l’année suivante, du droit humanitaire international [par la signature des Conventions de Genève, ndlr]. C’était la grande idée du « plus jamais ça ». Plus jamais de génocide, plus jamais de bombe nucléaire. La planète sortait d’une guerre mondiale ayant causé la mort de 55 millions de personnes en cinq ans, un vrai traumatisme. Pourtant, de cette horreur ont débouché des textes fondateurs, et mieux encore, de l’espoir. Avec la création d’un système multilatéral comme l’Organisation des Nations unies [dès 1945, ndlr], il y avait le souhait d’une coopération internationale efficace pour protéger les droits fondamentaux des individus, et lutter contre l’impunité des criminels de guerre.

« La communauté internationale n’est plus capable d’empêcher des atrocités comme celles du 7 octobre en Israël, ni ce qui se passe dans la bande de Gaza depuis six mois. »

Cette période de coopération est-elle terminée ?
Ce beau système, qui ne peut plus remplir sa mission, s’effondre. Quand on observe ce qu’il se passe à Gaza, on voit sa faillite. La communauté internationale n’est plus capable d’empêcher des atrocités comme celles du 7 octobre en Israël, ni ce qui se passe dans la bande de Gaza depuis six mois. Les États les plus puissants bafouent les principes de vivre-ensemble, de la dignité humaine. Par exemple, les États-Unis ont voté contre trois résolutions à l’ONU pour demander le cessez-le-feu et continuent – avec d’autres pays – à livrer des armes à Israël. Pourtant les 34 000 morts sont déjà sous nos yeux, sans compter les personnes sous les décombres, et le reste de la population qui souffre de l’utilisation de la famine comme arme de guerre. Cette situation est une défaite morale de la coopération internationale, qui avait pourtant suscité tant d’attentes en 1948.

Le rapport 2023 est encore plus alarmant que celui de 2022…
L’année passée, notre rôle était de dire qu’il y avait « un poids, deux mesures ». Quand cela arrange les puissances occidentales, elles dénoncent les actions de la Russie contre l’Ukraine. Si elles le souhaitent, elles mettent en œuvre ce qu’il faut pour accueillir les populations ukrainiennes qui fuient la guerre. Nous avons souligné l’efficacité de l’Union européenne qui a su accueillir rapidement, et de manière digne, les réfugiés. Mais elle ne le fait pas pour les autres conflits. Gaza en est le meilleur exemple : la communauté internationale n’a pas saisi la justice internationale de la même manière, n’a pas émis les mêmes appels au cessez-le-feu. Sans parler des conflits qui n’intéressent personne, le Soudan, le Nord-Kivu en République démocratique du Congo…
Nous apportons aussi cette année une attention particulière à l’usage de l’intelligence artificielle générative et aux nouvelles technologies qui ouvrent la porte à l’érosion des droits fondamentaux : reconnaissance faciale discriminatoire, incitation à la haine sur les réseaux, logiciels espions contre des dissidents ou des journalistes…

Qu’en est-il de la situation en France ?
En 2023, le point saillant de l’actualité française, en termes de droits humains, a été le vote de la loi « asile et immigration », qui dénie des droits à des personnes déjà très vulnérables et fragilise le droit d’asile, alors que c’est le dernier qu’il reste à ceux à qui on a retiré tous les autres. C’est une perte de nos valeurs. Nous relevons aussi une hausse des violences policières, tant au moment de Sainte-Soline que de la mort de Nahel M. en juin, et des manifestations qui ont suivi.
Une vigilance particulière a été portée sur les contrôles au faciès, qui ont été reconnus comme pratiques discriminatoires par le Conseil d’État en octobre 2023, sans aboutir à des mesures. Nous portons donc le sujet devant le comité approprié de l’ONU [le Cerd, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, ndlr], faisant un pas en avant pour que ce fléau cesse.

Source :

https://www.telerama.fr/debats-reportages/rapport-d-amnesty-international-a-gaza-une-defaite-morale-de-la-cooperation-internationale-7020156.php

Note

Amnesty International – Rapport 2023/24

La situation des droits humains dans le monde : avril 2024

https://www.amnesty.org/fr/documents/pol10/7200/2024/fr/

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