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Arabes, Français : quelle histoire !
jeudi 31 mai 2018, par
Arabes, Français : quelle histoire !
C’est sous ce titre qu’à eu lieu à l’IMA (Institut du Monde Arabe), du 25 au 27 mai à Paris, la quatrième édition des Rendez-vous de l’histoire du monde arabe, qui a proposé cinquante conférences ou tables rondes et réuni 150 spécialistes du monde arabe et son histoire.
Christian Travers a choisi d’assister à deux de ces manifestations. Il nous en fait ici un bref compte-rendu.
A quand un manuel d’histoire franco-algérien ?
Avec Vincent Lemire Maître de Conférences à Paris-Est, modérateur, Lydia Aït Saadi-Bouras, chercheuse à Paris VIII, Raphaëlle Branche, professeure d’histoire à l’université de Rouen,Tramor Quemeneur , chargé de cours à l’université de Paris VIII, et Benoit Falaize , Inspecteur Général de l’Education Nationale.
Sur cette question faussement naïve, un riche débat s’est engagé d’où on peut faire ressortir quelques idées majeures et consensuelles :
Entre l’Algérie et la France il n’y a qu’un cessez le feu. Il n’y a jamais eu de traité de paix et la tentative de conclure un traité d’amitié a échoué alors qu’elle a réussi avec la Tunisie et le Maroc.
Si en France l’édition est libre, y compris pour les manuels scolaires, la rédaction des manuels en Algérie est effectuée par des fonctionnaires aux ordres. Et si un tel livre existait, il serait diffusable en France mais pas forcément en Algérie.
Un livre scolaire a été établi par des Israéliens et des Palestiniens sous le titre « Histoire de l’autre ». Pour ne pas tomber dans une rédaction édulcorée, reflétant le commun dénominateur, sans doute pourrait-on retenir comme méthode l’établissement de faits incontestés par les deux parties complété par des interprétations parfois légitimes mais divergentes ou contradictoires.
Aussi difficile ou utopique qu’il soit, ce projet devient urgent. Des livres universitaires ou de référence existent mais il serait nécessaire d’aller vers une vulgarisation qui serait un moyen de réduire les fractures que connaît notre société.
Au moment des questions j’ai pris la parole pour présenter la 4acg et aborder les trois points suivants :
A court ou à moyen terme on ne peut rien espérer des gouvernements mais la société civile peut se mobiliser et des initiatives privées peuvent se développer.
J’ai évoqué à ce sujet l’initiative de la branche éducation d’Hachette-Livre, que je dirigeais et qui, il y a 25 ans, a conçu le projet militant de réaliser une « histoire de l’Europe » en collaboration avec dix auteurs et dix éditeurs représentants les dix principaux pays d’Europe. Chaque auteur était chargé d’une période et les neuf autres auteurs devaient approuver tous les contenus. Discussions pendant quatre ans mais projet abouti et succès commercial. Mais il est vrai qu’il est plus facile de se mettre d’accord à dix plutôt qu’à deux, et que l’Europe avait alors fait du chemin.
J’ai enfin parlé de nos interventions dans les établissements scolaires qui donnaient à voir une confrontation plurielle des mémoires débouchant sur des témoignages fraternels qui permettaient chez les élèves l’éveil à la complexité, et la formation de l’esprit critique et à la tolérance.
France-Algérie : Entre histoire et mémoires, quelles perspectives pour les jeunesses des deux rives ?
Avec Akim Haddad, correspondant de SOS racisme en Algérie pour le projet « Regards croisés », modérateur : Dominique Sopo, président de SOS racisme en France ; Abdelouhab Fersaoui, président du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse) en Algérie ; Nadjib Sidi-Moussa, historien.
Et aussi des jeunes impliqués dans le projet « Regards croisés » et issus de familles marquées par la colonisation et la guerre d’indépendance : Justine Bourrasseau (son grand père a fait la guerre d’Algérie), Anne-Sophie Kosnar (parents issus de pieds noirs), Dan Cohen ( famille pied noire pour partie juive), Youness Tellali (grand père harki), Nicolas Abdelaziz (père né en France de père algérien et d’une mère française).
Le débat a essentiellement porté sur le projet « Regards croisés » qui vise à structurer le dialogue, la formation et la collaboration entre jeunes de France et d’Algérie. A aussi été évoqué, à la marge, celui de créer un office franco algérien pour la jeunesse …à moins que ce soit un office algéro-français.
Chacun s’est expliqué sur les raisons de son implication dans ce projet qui vise, sans faire l’économie des mémoires de la colonisation et de la guerre, à construire des projets en commun. Le premier d’entre eux est de rendre possible le voyage d’un groupe de jeunes Français en Algérie dans un premier temps, puis d’un groupe de jeunes Algériens en France.
La 4acg est partie prenante de ce projet puisqu’elle reversera la subvention reçue d’une sénatrice du Nord à ce titre et qu’elle présentera plusieurs des jeunes envisagés pour ce voyage en Algérie.
Parmi les points évoqués j’ai noté :
la généalogie de la violence et les blessures qu’elle a laissées avec ses trois moments : la conquête, l’administration, la guerre d’indépendance,
A ce stade on ne peut beaucoup compter sur les gouvernements mais les citoyens peuvent prendre des initiatives,
Pour les jeunes, comprendre les enjeux de la guerre d’Algérie est nécessaire, compte tenu des tensions qui demeurent,
La question algérienne est la plus partagée et la plus refoulée. Il faut se débarrasser du boulet de l’affrontement des mémoires pour progresser vers l’émancipation.
La responsable en France du quotidien algérien El Watan, signale que les choses bougent en Algérie. On peut aujourd’hui parler des juifs et des harkis. La chape se soulève. El Watan sera au rendez-vous pour soutenir ce beau projet.
Au moment des questions à la tribune j’ai pris la parole pour présenter la 4acg, notre soutien à des associations algériennes et palestiniennes et aussi nos interventions dans les établissements scolaires qui mêlent fraternellement anciens appelés, moudjahidines, harkis et anciens européens d’Algérie.
Au moment où j’évoquais le reversement de notre pension, des applaudissements nourris provenant d’un auditoire de plus de 100 personnes ont interrompu mon intervention et à sa fin, de façon appuyée, Akim, l’animateur, a indiqué « Nous avons le plus grand respect pour votre association ».
Christian Travers