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« ?En Algérie, en matière de droits humains, il y a un décalage entre le discours et la pratique ? »

vendredi 15 décembre 2023, par Michel Berthelemy

« En Algérie, en matière de droits humains, il y a un décalage entre ce que dit le gouvernement et les lois qu’il fait ». Pour la première fois, une émissaire de l’ONU a été reçue par les autorités et a pu rencontrer militants et journalistes à Alger, Oran et Tizi Ouzou

par Mustapha Kessous, Le Monde Afrique, 7 décembre 2023

A l’invitation de l’Etat algérien, Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations unies (ONU) sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, vient de passer dix jours en Algérie. Une première.
L’Irlandaise s’est rendue à Alger, à Oran et à Tizi Ouzou, entre le 25 novembre et le 5 décembre, pour rencontrer une cinquantaine de militants, des journalistes et des officiels « afin d’évaluer la situation »sur place. « Aucun pays du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord ne m’avait invitée à effectuer une visite officielle, explique-t-elle au Monde. C’est donc un signe de bonne foi et c’est encourageant car mon mandat est très controversé. »

Ainsi, en Algérie, Mme Lawlor dit avoir été d’abord « frappée par le fait que de très nombreuses personnes travaillant sur les questions des droits humains pouvaient opérer librement ». Toutefois, celles qui travaillent sur des sujets « sensibles » tels que la corruption, la migration, le droit du travail ou l’environnement et qui sont perçues du coup comme « critiques » du gouvernement sont confrontées à de « graves difficultés ».

Les militants rencontrés ont expliqué à l’envoyée de l’ONU qu’ils « sont soumis à une forme d’ingérence de l’Etat dans leurs activités pacifiques », « à une surveillance [policière] de routine » et à un « harcèlement » judiciaire. Lors de son déplacement en Kabylie, elle a pu d’ailleurs constater que certains d’entre eux ont été empêchés de se rendre à Tizi Ouzou. De plus, ils lui ont fait part de « la peur » qu’ils ressentent pour eux-mêmes et leurs familles quand ils exercent leurs activités. « Je vois donc un décalage entre ce que dit le gouvernement quand il assure qu’il va se conformer aux normes internationales et les lois faites pour limiter et sanctionner leur travail », souligne Mary Lawlor.

Etouffer l’action des défenseurs

La diplomate fait référence à l’article 87bis du Code pénal – amendé en juin 2021 – qui assimile à du « terrorisme » ou à du « sabotage » tout appel à « changer le système de gouvernance par des moyens non conventionnels », une définition « si large et si vague qu’elle laisse aux services de sécurité une grande marge de manœuvre pour arrêter les défenseurs des droits humains ». Ces derniers ont été
nombreux à être poursuivis et condamnés sur cette base législative. Enfin, elle pointe d’autres délits utilisés pour étouffer l’action de ces militants, comme l’« atteinte à l’unité nationale » ou encore l’« offense » envers le président de la République, les fonctionnaires, les institutions, le Parlement, les tribunaux, l’armée et le pouvoir judiciaire.

Par ailleurs, la rapporteuse a souhaité dénoncer d’autres abus comme les dissolutions de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), en 2022, et du principal mouvement de la jeunesse, le Rassemblement action jeunesse (RAJ) qui avait été l’un des animateurs du Hirak, en 2021, ainsi que la multiplication des interdictions de sortie du territoire nationale (ISTN) émises à l’encontre des activistes.

A l’issue de ce séjour, l’émissaire des Nations unies a formulé douze recommandations à l’attention du gouvernement algérien. Elle demande, entre autres, que soient « libérés tous les défenseurs des droits humains » ; « modifiés les articles du Code pénal relatifs au terrorisme et à l’atteinte à l’unité nationale ». Elle appelle à « considérer les défenseurs des droits de l’homme comme des alliés qui peuvent contribuer de manière significative à la vie publique en Algérie et reconnaître publiquement leur travail légitime » plutôt que de les voir comme « une menace potentielle pour la stabilité du pays ».
En 2022, Alger avait déjà été prié par les Nations unies de cesser de « harceler journalistes et défenseurs des droits. Mary Lawlor a-t-elle une chance d’être entendue par le régime, qui ne cesse de faire preuve d’autoritarisme ? La diplomate l’espère, mais, avec le scrutin présidentiel prévu en décembre 2024, « nous devrons probablement attendre la fin des élections » pour voir de « réelles » avancées. « J’espère qu’il y aura des petits changements immédiatement, dit-elle. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que tout soit réglé du jour au lendemain. »

« Echanges francs et constructifs »

Les militants algériens se félicitent d’une telle visite et espèrent qu’« elle puisse faire bouger les lignes », estime Saïd Salhi, le vice-président de la LADDH. « La rapporteuse résume bien la situation chaotique des défenseurs des droits humains en Algérie. Son interpellation à l’adresse du gouvernement rappelant ses engagements à les respecter a été sans ambages. Le gouvernement considère jusqu’à maintenant les défenseurs comme des ennemis, et c’est regrettable », ajoute M. Salhi, désormais réfugié politique en Belgique.

Pour l’avocat Aïssa Rahmoune, également réfugié politique en France et vice président de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), « le régime algérien a installé une peur et un climat de psychose dans l’espace civil, chez les défenseurs et l’opposition, cela ne présage pas de la construction d’un Etat de droit démocratique. Au contraire, les autorités creusent davantage le fossé entre les institutions et les populations »

Du côté des autorités algériennes, le ministère des affaires étrangères a souligné dans un communiqué que la visite de l’émissaire de l’ONU a été l’occasion d’« échanges francs, constructifs et sans complexe ». « Ces rencontres lui ont permis de prendre connaissance des efforts consentis et des grands progrès réalisés par l’Algérie en matière de protection et de respect des droits humains et la protection de leurs défenseurs », a-t-il ajouté.

Mustapha Kessous

Source Le Monde ;

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/12/07/en-algerie-en-matiere-de-droits-humains-il-y-a-un-decalage-entre-ce-que-dit-le-gouvernement-et-les-lois-qu-il-fait_6204459_3212.html

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