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Femmes en guerre d’Algérie : les oubliées de l’histoire

mercredi 20 février 2019, par Gérard C. Webmestre , Michel Berthelemy

Dans un contexte fortement machiste, les maquisardes, les moudjahidate, ont joué un rôle important dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. L’historienne Claire Mauss-Copeaux spécialiste de la guerre d’Algérie, a enquêté sur le terrain.
(article extrait du site histoirecoloniale.net / https://histoirecoloniale.net/Algerie-1954-1962-Hadjira-et-Doukha-par-Claire-Mauss-Copeaux.html)

1957, des combattantes du FLN dans le maquis pendant la guerre d’Algérie. Photo Zebar. Andia


Résistantes ? Terroristes ? Hadjira et Doukha, deux femmes parmi d’autres dans un monde dominé par les hommes. Algérie 1954-1962. Par Claire Mauss-Copeaux
(extraits)

À ses débuts le FLN, Front de libération nationale, était composé uniquement d’hommes, naturellement machistes. Pas de femmes parmi les fondateurs, pas de femmes parmi ses membres. Personne n’imaginait alors que des femmes puissent rejoindre le Front.
Ce sont les dures conditions de la lutte armée, de la clandestinité et de la survie qui obligent les guérilleros à se réfugier dans des familles, à la ville ou à la campagne. Dans ce cadre, ce sont des femmes qui les nourrissent, qui les cachent, qui les soignent. Ce sont elles qui transportent leur courrier, leurs armes.
Dénoncées ou repérées, obligées à la clandestinité à leur tour ou tout simplement volontaires, quelques-unes les rejoignent. Dans les maquis, la spécialisation des tâches entre les hommes et les rares femmes qui s’y trouvent s’explique par le manque d’armes. Les maquisards ne disposaient pas toujours d’arme personnelle. Difficile, dans ces conditions, voire impossible pour un guerrier, un homme, un vrai, d’en confier une à une femme.

Les femmes aux cuisines, les hommes au maquis ? On est bien loin de ce cliché…

On aurait pu imaginer cependant que le manque d’armes et la disponibilité plus grande de ceux qui n’en possédaient pas les incitent à aider les femmes dans leurs tâches. Mais non ! Le respect des traditions l’emporte à tous les échelons de la hiérarchie. Dans ses mémoires, Ali Kafi, responsable du Constantinois consacre quelques lignes à ‘‘la’’ femme au maquis. Il précise le rôle qui lui était dévolu : « Elle s’occupait des moudjahidin jour et nuit. Elle lavait le linge, cuisinait et s’occupait d’effacer toute trace de leur présence ». Il oublie que les femmes ont assuré bien d’autres missions comme les liaisons, les transports d’argent et même d’armes. Certaines ont été prises dans des combats. Comme les hommes, elles ont subi la torture et la mort
Tous les responsables ne sont pas comme Ali Kafi. De plus fins politiques ont compris très vite que la présence de femmes à leur côté les valorisaient et surtout légitimait leur projet puisque le FLN, s’il décidait de se tourner vers un avenir de liberté, se devait de représenter l’ensemble du peuple algérien, femmes comprises. Les premières photographies de moudjahidate, les maquisardes, ont été avancées dès 1956. Quelques photos de groupe cadrent des femmes, en treillis et armées, dans la position du tireur couché. Mais, derrière elles, leurs camarades hommes, debout, les dominent. Certaines de ces images, en particulier celles d’infirmières soignant des combattants ou la population des villages ont été diffusées par le FLN. L’adversaire y a répondu en créant et en photographiant à son tour des harka de femmes combattantes « arabes ».
Mais les uns et les autres se sont bien gardés de les représenter dans leurs activités principales, trop évidentes et dévalorisées : faire la cuisine ou laver le linge des guerriers.

Les moudjahidates, des combattantes comme les autres

Danièle-Djamila Amrane-Minne appartenait en 1957 à un commando urbain d’Alger où elle était fidaya ; après l’indépendance elle est devenue historienne. Elle a analysé le fichier des moudjahidin qui rassemble les noms et qualités des combattants et combattantes de l’Armée de libération nationale. Elle a surtout réalisé de nombreux entretiens avec les moudjahidate.
Elle a recensé 10 949 militantes, 1 755 maquisardes et 65 combattantes ayant exercé directement la violence. Ces évaluations sont à éclairer. Effectivement, en tant que filles, mères ou épouses, les femmes algériennes, sur lesquelles 1 755 l’essentiel des tâches du quotidien, ne pouvaient guère abandonner leurs proches pour rejoindre le FLN. Mais cela ne signifiait pas un désintérêt pour la cause de l’Indépendance, ni même un manque d’estime de soi qui aurait pu leur faire dire : « Je suis inférieure aux hommes, je n’ai pas droit à l’espace public, ma place est à la maison ! ». Celles qui n’avaient pas de charge de famille et voulaient s’engager devaient auparavant mener deux combats : l’un pour obtenir l’accord de leurs parents et l’autre pour trouver et convaincre les responsables du Front.
Le nom de ces quelques femmes est connu, elles ont été comptabilisées. Hors statistiques, dans une zone grise, d’autres femmes, innombrables, ont pris l’initiative de sortir de leurs foyers, d’occuper l’espace colonial et l’espace public masculin, seules ou avec leurs enfants. De leur propre chef, le plus souvent, elles ont décidé de participer aux manifestations pour l’indépendance. Quelques rapports militaires signalent leurs actions et la répression qui les frappe durant l’insurrection du 20 août 1955. Ainsi, à la tête des manifestants de Sidi Mesguich, deux jeunes filles portant le drapeau algérien sont arrêtées. Au Khroub, à cette même date, des femmes, des hommes et des enfants partent à l’assaut d’une caserne. Le bilan est lourd : 23 hommes, 19 femmes et 11 enfants sont tués.
Les appelés que j’ai interviewés pour ma thèse (1) étaient cantonnés dans le bled. L’un d’eux, dans les Aurès à Chéria, se souvient très bien d’une grande manifestation commémorant le déclenchement de la guerre de libération en novembre 1961. La foule, dit-il, encore sidéré, était immense, composée de femmes et d’enfants, parfois armés de bâtons et de cailloux. Il décrit les blindés qui s’avancent, l’ordre donné de tirer, la panique. Les femmes qui se font bousculer, écraser, les balles qui sifflent. Des blessées, des morts… Des femmes et des enfants, en nombre… Les archives militaires que j’ai consultées ensuite, confirment l’événement. Elles soulignent elles aussi la brutalité de l’affrontement, mais le bilan qu’elles avancent, un seul mort qualifié de civil et six blessés, ne peut correspondre à la réalité. Pourtant quelques semaines plus tard, le 20 et le 21 novembre à Chéria, des femmes manifestent à nouveau, dans des conditions encore plus tendues. Là aussi, le bilan donné par les archives se limite comme précédemment à un mort, qualifié cette fois de rebelle.
Le FLN n’était pas un regroupement de bandits, ni même une organisation « terroriste » comme le prétendait le pouvoir colonial à l’époque. Dès ses débuts, il était ouvert à la discussion et à la négociation et s’est tourné vers les instances internationales. Mais, dans ce conflit asymétrique face à un adversaire puissant, décidé, sans scrupule, qui a utilisé le terrorisme à grande échelle, il l’a utilisé également. Le terrorisme a été mis en place par les responsables du FLN à Alger à la fin de l’année 1956 et en 1957, dans des circonstances précises, dans un temps limité. Les objectifs ont été militaires, fixer les forces française en ville pour soulager les maquisards de Kabylie, et également politiques, alerter les médias et témoigner de la présence et de la réactivité du FLN au cœur même du pouvoir colonial. Parfois, il s’agissait simplement de « faire du bruit » et l’ordre donné au fidayin était clair : la bombe devait être déposée dans un lieu excluant tout risque de faire des victimes. À d’autres occasions, des modalités meurtrières ont été choisies. Elles étaient ciblées quand elles visaient des militaires ou des personnalités colonialistes, ou non ciblées quand il s’agissait d’attentats aveugles tuant de simples civils.

Au cœur de la « ?bataille d’Alger ? »

La « bataille d’Alger », expression valorisante pour désigner la répression menée contre les « terroristes » et l’ensemble de la population « musulmane » par les parachutistes, a bénéficié de la présence de nombreux journalistes. A Alger, ces derniers travaillaient dans des conditions très favorables : confort des grands hôtels et facilité de déplacements. Il leur suffisait de faire mousser les faits pour écrire de véritables romans policiers et capter l’attention de leurs lecteurs. Le sujet, simplifié à l’extrême, respectait la morale : de courageux parachutistes, chevaliers des temps modernes, risquaient leur vie pour sauver des enfants. Pour cela, il leur fallait traquer de très jeunes femmes, d’autant plus dangereuses qu’elles dissimulaient leur violence aveugle sous des apparences innocentes et séduisantes.
Les images qui illustraient ce récit étaient diffusées par les magazines comme Paris-Match ; elles se sont imprimées dans les mémoires françaises et se trouvent reproduites aujourd’hui sur la Toile. Les autres événements comme la première bombe au plastic, déposée rue de Thèbes, le 10 août 1956 dans la Casbah d’Alger par des activistes européens (70 civils tués), les exécutions des militants du FLN, guillotinés dans la cour de la prison Barberousse, les représailles menées à la suite du meurtre de deux parachutistes dans le quartier du Ruisseau (80 « Arabes » tués) sont le plus souvent oubliés. Les comptabilités sinistres s’attachent en priorité aux victimes européennes, 18 civils tués par les jeunes femmes « terroristes ».
Le terrorisme a pesé sur les populations. Dès les débuts, dans les Aurès, les militaires français l’ont pratiqué et l’ont poursuivi, à grande échelle, jusqu’à la fin de la guerre. Dans une directive datée du 3 novembre 1959, le général Challe le reconnaît, non pour l’interrompre ou le limiter, mais pour mieux le dissimuler : « Celui qui parle le premier gagne. Les démentis laissant toujours planer un doute (…).Mettre en valeur l’œuvre constructive de l’Armée (…), l’Armée protège, construit, soigne, administre. Ne jamais donner de renseignements sur les noms des victimes, les actions de bombardement, les destructions d’infirmeries FLN et la capture des médecins ».
À Alger comme ailleurs, les jeunes filles qui souhaitaient rejoindre les fidayin étaient une minorité. Mais comme la vie était plus libre en ville, il leur a été moins difficile d’être agents de liaison, infirmières ou secrétaires quand la nécessité l’exigeait. Rapidement, elles se sont révélées indispensables. Machistes eux-mêmes, les responsables comme Yacef Saâdi appréciaient les possibilités que leur ouvraient le machisme de leurs adversaires. Effectivement, les militaires français, qui fouillaient les passants aux barrages, ne soupçonnaient pas a priori les jeunes filles.
Pour les fidayate et les fidayin d’Alger, les difficultés de survivre dans la clandestinité, les très petites unités où ils se retrouvaient, la jeunesse des unes et des autres, ont favorisé des relations amicales moins inégales. La spécificité des activités dévolues aux unes et aux autres étaient le plus souvent respectée. Mais les impératifs de la clandestinité, leur volonté et leur sang-froid ont fait accéder ces jeunes femmes à des tâches de plus en plus militaires et délicates ; des liaisons, elles sont passées au transport d’armes, du transport d’armes à la pose de bombes.

Poser une bombe, ce n’est pas un travail de fille !

Les jeunes filles étaient toujours volontaires. Leur rôle était de transporter les bombes jusqu’au lieu de l’attentat et de les remettre au fidaï chargé de les déposer. À une très jeune femme qui insistait pour déposer elle-même la bombe devant le commissariat visé, le chef de groupe a asséné : « Tu te tais, tu n’as pas le droit à la parole, ce n’est pas un travail de fille ! » Comme elle ne cédait pas, après de longues délibérations, elle a obtenu gain de cause.
À propos de la violence exercée par les combattantes du FLN, Danièle-Djamila Amrane-Minne émet l’hypothèse que les femmes auraient manifesté un plus grand respect de la vie, parce qu’elles mettent au monde des enfants. Elle pense également que les hommes, soucieux de leur virilité, acceptaient plus volontiers la violence de sang ; pour eux, le passage à l’acte aurait été plus facile. Cela se discute. À propos du passage à l’acte des jeunes filles, des questions se posent pourtant. Si les hommes sont les jouets de leur virilité, pourquoi les femmes ne seraient-elles pas les jouets de l’infériorité qui leur est attribuée ? Obligées en quelque sorte de prouver leur égalité, par le passage à l’acte ? Dans quelle mesure l’impatience des adolescentes d’être reconnues adultes intervient-elle ? Chaque passage à l’acte est à questionner.

Claire Mauss-Copeaux, historienne de la guerre d’Algérie et des violences de guerre, est notamment l’auteur d’un livre pionnier devenu un classique : Appelés d’Algérie, la parole confisquée, Paris, Hachette, 1999.

(1) Images et mémoires d’appelés de la guerre d’Algérie 1955-1994,Université de Reims, 1995

Source : Algérie 1954-1962, Hadjira et Doukha, par Claire Mauss-Copeaux

https://histoirecoloniale.net/Algerie-1954-1962-Hadjira-et-Doukha-par-Claire-Mauss-Copeaux.html

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