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Gaza : la « prison à ciel ouvert » d’Israël, 15 ans déjà de terreur et d’humiliations
lundi 20 juin 2022, par
Human Right Watch - 14 juin 2022, relayé par Agence Media Palestine
(Gaza, le 14 juin 2022) - Les restrictions généralisées imposées aux plus de deux millions d’habitants de Gaza par Israël pour quitter ce territoire enclavé les privent de la possibilité d’améliorer leur vie, a déclaré Human Rights Watch à l’occasion du quinzième anniversaire du bouclage instauré en 2007. Le bouclage a dévasté l’économie de Gaza, a contribué à la fragmentation du peuple palestinien, et participe des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution des autorités israéliennes à l’encontre de millions de Palestiniens.
La politique de bouclage d’Israël empêche la plupart des habitants de Gaza de se rendre en Cisjordanie, ce qui empêche les professionnels, artistes, sportifs, étudiants et autres personnes de saisir les opportunités qui s’offrent à eux en Palestine et de se rendre à l’étranger via Israël, ce qui restreint leurs droits au travail et à l’éducation. Les politiques restrictives de l’Égypte au point de passage de Rafah frontalier avec Gaza, notamment les retards inutiles et les mauvais traitements infligés aux voyageurs, ont exacerbé les atteintes aux droits humains causées par le bouclage.
« Avec l’aide de l’Égypte, Israël a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert », a déclaré Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch. « Alors que, deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses personnes voyagent de nouveau à travers le monde, plus de deux millions de Palestiniens de Gaza continuent d’être soumis à ce qui équivaut à un confinement qui a déjà duré 15 ans. »
Israël devrait mettre fin à l’interdiction généralisée de voyager imposée aux habitants de Gaza et autoriser la libre circulation des personnes vers et depuis Gaza, sous réserve, tout au plus, de contrôles individuels et de fouilles physiques à des fins de sécurité.
Entre février 2021 et mars 2022, Human Rights Watch a interrogé 20 Palestiniens qui cherchaient à sortir de Gaza en empruntant le passage d’Erez, géré par Israël, ou le passage de Rafah, administré par l’Égypte. Human Rights Watch a écrit aux autorités israéliennes et égyptiennes pour solliciter leur point de vue sur ses conclusions, et séparément pour leur demander des informations sur une agence de voyage égyptienne qui opère au passage de Rafah, mais n’a reçu aucune réponse à ce jour. Depuis 2007, les autorités israéliennes ont, à de rares exceptions près, interdit aux Palestiniens de transiter par le point de passage d’Erez entre Gaza et Israël, d’où ils peuvent rejoindre la Cisjordanie et se rendre à l’étranger via la Jordanie. Israël empêche également les autorités palestiniennes d’exploiter un aéroport ou un port maritime à Gaza. Les autorités israéliennes y restreignent aussi fortement l’entrée et la sortie des marchandises.
Déplacements réduits ou interdits, surveillance et répression généralisées…
Elles justifient souvent cette fermeture, intervenue après que le Hamas a pris le contrôle politique de Gaza à l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah en juin 2007, par des raisons de sécurité. Les autorités israéliennes ont déclaré vouloir minimiser les déplacements entre Gaza et la Cisjordanie afin d’empêcher l’exportation d’un « réseau terroriste humain » de Gaza vers la Cisjordanie, qui a une frontière poreuse avec Israël et où vivent des centaines de milliers de colons israéliens.
Cette politique a réduit les déplacements à une fraction de ce qu’ils étaient il y a vingt ans, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités israéliennes ont officiellement institué une « politique de séparation » entre Gaza et la Cisjordanie, malgré le consensus international selon lequel ces deux parties du territoire palestinien occupé forment une « entité territoriale unique ». Israël en a accepté le principe dans les accords d’Oslo, signés par le pays avec l’Organisation de libération de la Palestine en 1995. Les autorités israéliennes restreignent tous les déplacements entre Gaza et la Cisjordanie, même lorsqu’ils se font indirectement par la route qui traverse l’Égypte et la Jordanie plutôt que le territoire israélien.
En raison de ces politiques, les professionnels, étudiants, artistes et athlètes palestiniens vivant à Gaza ont manqué des opportunités essentielles d’avancement qui n’étaient pas disponibles à Gaza. Human Rights Watch a interrogé sept personnes qui ont déclaré que les autorités israéliennes n’avaient pas répondu à leurs demandes de voyage par Erez, et trois autres qui ont déclaré qu’Israël avait rejeté leurs permis, apparemment parce qu’ils ne correspondaient pas aux critères stricts imposés par Israël.
Après avoir passé des années à convaincre sa famille de l’autoriser à voyager seule, Walaa Sada, une réalisatrice de 31 ans, a déclaré avoir demandé des permis pour participer à une formation cinématographique en Cisjordanie en 2014 et 2018. Les autorités israéliennes n’ont jamais donné suite à ses demandes. La nature pratique de la formation, qui nécessite de filmer des scènes en direct et de travailler en studio, rendait difficilement réalisable une participation à distance et Walaa Sada a finalement dû renoncer à participer à ces sessions de formation.
Lorsqu’on lui a notifié ces refus, le « monde s’est rétréci », a expliqué Walaa Sada, qui s’est sentie « coincée dans une petite boîte… À Gaza, les aiguilles de l’horloge se sont arrêtées. Les gens du monde entier peuvent réserver un vol facilement et rapidement pour voyager, tandis que nous … mourons en attendant notre tour. »
Les autorités égyptiennes ont encore aggravé l’impact de ce bouclage en restreignant les déplacements hors de Gaza et en fermant parfois complètement le poste frontière de Rafah qui est, en dehors d’Erez, la seule voie de sortie de Gaza vers l’extérieur. Depuis mai 2018, les autorités égyptiennes laissent plus régulièrement ouvert le poste de Rafah, ce qui en fait, sur fond de restrictions israéliennes généralisées, le principal point d’accès des habitants de Gaza au monde extérieur.
Cependant, les Palestiniens sont toujours confrontés à des obstacles onéreux lorsqu’ils voyagent en Égypte. Ils doivent notamment attendre plusieurs semaines pour obtenir des autorisations de voyager, à moins d’être prêts à payer des centaines de dollars à des agences de voyage ayant des liens privilégiés avec les autorités égyptiennes pour accélérer les procédures de voyage. Ils font aussi l’objet de refus d’entrée et d’abus de la part des autorités égyptiennes.
Walaa Sada a dit avoir également eu l’opportunité de participer à un atelier d’écriture de scénario en Tunisie en 2019, mais qu’elle n’avait pas les moyens de payer les 2000 dollars US que lui coûterait le service qui lui permettrait d’entreprendre ce voyage à temps. L’atelier avait déjà eu lieu quand son tour est venu de voyager, six semaines plus tard.
Israël se moque du droit international
En tant que puissance occupante qui maintient un contrôle important sur de nombreux aspects de la vie à Gaza, Israël a l’obligation, en vertu du droit international humanitaire, de veiller au bien-être de la population. Les Palestiniens ont également le droit, en vertu du droit international des droits humains, de circuler librement, en particulier en territoire occupé, un droit qu’Israël ne peut restreindre, en vertu du droit international, qu’en réponse à des menaces de sécurité spécifiques.
Or la politique israélienne refuse par principe, à quelques exceptions près, la liberté de circulation aux habitants de Gaza indépendamment de toute évaluation individuelle du risque sécuritaire que représente chaque individu. Ces restrictions du droit à la liberté de circulation ne répondent pas à l’exigence d’être strictement nécessaires et proportionnées dans le but d’atteindre un objectif légal. Depuis plusieurs années, Israël a eu de multiples occasions de développer des réponses beaucoup mieux adaptées aux risques pour sa sécurité et qui minimisent les restrictions imposées aux droits des personnes.
Les obligations légales de l’Égypte envers les habitants de Gaza sont plus limitées, car elle n’est pas une puissance occupante. Cependant, en tant qu’État partie à la Quatrième Convention de Genève, elle devrait veiller au respect de la convention « en toutes circonstances », notamment aux protections des civils vivant sous occupation militaire et qui ne peuvent pas voyager en raison de restrictions illégales imposées par la puissance occupante. Les autorités égyptiennes devraient également tenir compte de l’impact de la fermeture de la frontière sur les droits des Palestiniens vivant à Gaza et qui ne peuvent se rendre à Gaza et en sortir par une autre route, et notamment sur le droit de toute personne à quitter un pays.
Les autorités égyptiennes devraient lever les obstacles déraisonnables qui restreignent les droits des Palestiniens et autoriser le transit par son territoire, sous réserve de considérations de sécurité, et veiller à ce que leurs décisions soient transparentes et non arbitraires et tiennent compte des droits fondamentaux des personnes concernées.
« Le bouclage de Gaza empêche des individus et professionnels talentueux qui ont beaucoup à offrir à leur société de profiter d’opportunités que d’autres personnes, dans d’autres pays, considèrent comme allant de soi », a déclaré Omar Shakir. « Empêcher les Palestiniens de Gaza de se déplacer librement dans leur patrie revient à étouffer les existences de ces personnes et souligne la cruelle réalité de l’apartheid et de la persécution que subissent des millions de Palestiniens. »