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J’ai la douceur du peuple effrayante au fond du crâne : un spectacle saisissant sur la guerre d’Algérie
lundi 4 février 2019, par
Le jeudi 31 janvier, j’ai pu assister avec mon épouse et Stanislas Hutin au spectacle donné par la compagnie Nova dirigée par Margaux Eskenazi au théâtre du Garde-Chasse dans la ville des Lila.
C’est un spectacle très riche centré sur les acteurs de la guerre d’Algérie, qui donne un panorama très complet des événements les plus divers qui ont marqué cette guerre et les ressentis qui peuvent en découler.
Pour monter ce spectacle original, les conceptrices et auteures, Alice Carré et Margaux Eskenazi, sur un fond de données historiques, se sont appuyées sur des témoignages qu’elles ont recueillis elles mêmes. Ce sont ces témoignages que le spectacle restitue et celui-ci est complété par des textes littéraires puisés aux meilleures sources : Albert Camus, Kateb Yacine, Kamel Daoud, Mouloud Feraoun, Assia Djebar, Edouard Glissant, Jérôme Lindon , Jean-Paul Sartre..
De ce salmigondis, qui pourrait en dérouter plus d’un, ressort un spectacle original, vivant, émouvant, jamais ennuyeux, servi par de jeunes interprètes épatants et enthousiastes. Car il s’agit d’un spectacle militant, mémoriel destiné à réveiller les consciences, majoritairement oublieuses mais qui a laissé aussi chez certains, de toutes origines, des blessures encore vives, et aussi dans notre société des fractures sociales et politiques qu’il convient de réparer.
Il ne s’agit pas ici d’asséner une vérité sujette à polémique mais on contraire de questionner, de confronter des attitudes contradictoires, de révéler la complexité des faits et des mémoires sans laisser place au manichéisme.
On s’appuie pour cela sur 7 parcours de vie sur plusieurs générations :
Une femme pied-noir de retour en France en 1962.
Un harki dont la famille a combattu comme tirailleur français durant les deux guerres mondiales et qui sera rapatrié en France en 1962 puis vivra jusqu’en 1975 dans les camps de harkis.
Un travailleur algérien immigré en France qui s’initiera aux idées nationalistes dans les bidonvilles de Nanterre puis deviendra membre actif du FLN et retournera vivre en Algérie après l’indépendance.
Un kabyle vivant la guerre d’Algérie en Kabylie, anti-colonialiste mais n’ayant pas pour autant rejoint le FLN, émigrant en France avant la fin de la guerre pour y trouver du travail.
Un officier de l’armée de métier française ayant considéré la fin des combats en Algérie comme une trahison.
Un appelé, très jeune soldat du contingent, insoumis, ayant refusé de se battre et de justifier les pratiques de torture.
Une militante parisienne anti-colonialiste, vivant la guerre à Paris et participant au réseau Jeanson des porteurs de valises.
Le second volet d’un diptyque sur les identités et les mémoires
En 2016/2017 la compagnie avait créé un spectacle intitulé « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre ». « J’ai la douceur du peuple effrayante au fond du crâne » est le second volet du diptyque que les conceptrices présentent ainsi : « une investigation théâtrale sur les écritures et les poétiques de la décolonisation pour penser nos identités françaises et les oublis de sa mémoire »
« Dans ce second volet nous écrivons une traversée des mémoires, des littératures et des résistances de l’Algérie coloniale à la France d’aujourd’hui, pour dessiner un des visages de la nation française dans laquelle nous avons grandi, faite d’exils, de métissages, d’imaginaires et de violences tues. Le point de départ du travail est le constat des amnésies coloniales qui ont entouré notre parcours familial et scolaire. Nous partons des silences entourant la guerre d’Algérie qui jonchent chaque famille à quelques exceptions près : enfants issus de l’immigration, petits-enfants de soldats du contingent, appelés ou militaires de métier, anciens membres de l’OAS, enfants du FLN, fils ou filles de harkis, petits-enfants de pieds-noirs… Constatant que nos propres histoires familiales étaient imprégnées de l’histoire de l’Algérie, il nous fallait réveiller les mémoires pour définir nos identités »
A la lecture de ce texte on comprend que ce spectacle concerne particulièrement les adhérents de la 4acg. D’ailleurs, il y a près d’un an nous avions été quelques uns de la région parisienne à participer à une réunion de travail avec les concepteurs et plusieurs acteurs afin d’apporter nos témoignages et indiquer le parti pris par notre association de reverser notre pension liée à la retraite du combattant à des populations qui ont enduré les souffrances que nous leur avions infligées. Cette prise de position qui constitue l’élément le plus fort de notre identité à été reprise dans le spectacle puisqu’on y montre un débat d’anciens combattants dans lequel un des acteurs reprend notre argumentation.
Un spectacle à consommer sans modération : aux dates et lieux suivants (demander détails et confirmations à l’adresse de la production, ci-dessous)
7 février 2019 au Théâtre de Longjumeau
15 février 2019, à 20 h 45 au Studio Théâtre de Stains
21 février , 20 h au théâtre de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris
Juin 2019 au Festival Onze Bouge, Paris
Juillet 2019 au Festival Off d’Avignon ( théâtre 11 )
Automne 2019 au Centre culturel le Marque Page de la Norville et à la Grange
Dimière, à Fresnes
Contact, diffusion et production :
Émilie Gahfoorian - Vervaët
06 18 65 57 00
e.vervaet fabriqueabelleville.com
lire aussi la critique de Jean-Pierre Thibaudat dans Mediapart :
https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/310119/guerre-d-algerie-mettre-en-scene-l-impossible-oubli-de-la-memoire
Christian Travers