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La moudjahida et le parachutiste

mercredi 18 juillet 2012, par Hubert Rouaud

Inédit : un document poignant

Louisette Ighilhariz et Raymond Cloarec témoignent...

Une rencontre poignante de deux anciens adversaires de la guerre d’Algérie.
La moudjahida Louisette Ighilahriz et le parachutiste Raymond Cloarec.
Des souvenirs durs à entendre mais nécessaires à la compréhension de l’Histoire.

Rencontre de deux témoignages atypiques de la guerre d’Algérie. D’un coté une farouche combattante pour l’indépendance de son pays, une femme d’un courage extraordinaire subissant avec ses proches les pires exactions de l’armée française, de l’autre un soldat d’ "élite", parachutiste bardé de décorations qui avoue ses remords d’avoir commis des actes cruels et irréparables sous les ordres d’officiers qui gardaient les mains propres en tolérant, voire encourageant, le pire.

C’est l’objet de ce documentaire exceptionnel que notre ami Mehdi Lallaoui a transmis en exclusivité à 4acg et dont notre site vous offre aujourd’hui la primeur.

Avant le procès en appel de Louisette Ighilahriz contre le général Schmitt, en 2003, Raymond Cloarec, ancien parachutiste, avait résisté aux pressions du général qui l’incitait à revenir sur ses déclarations "à charge" recueillies par Florence Beaugé.

C’est pourquoi quand Mehdi Lallaoui [1] a rencontré Louisette pour une interview en souhaitant équilibrer les points de vue elle lui a tout de suite indiquer Raymond Cloarec avec qui depuis le procès elle avait continué à correspondre.


Ces deux voix s’expriment alternativement dans un documentaire poignant.

Deux témoignages qui vous chavirent même si leur contenu était déjà connu par bribes. Des faits toujours contestés par ceux qui ne supportent pas que l’on "salisse" l’armée française sans réaliser, comme le montre l’exposition actuelle du musée de l’armée, que l’on se grandit en ne masquant pas ses fautes. Car leur dissimulation favorise leur contagion.

Les menaces...

Il n’est pas courant de voir et d’entendre un ancien sous-officier de la guerre d’Algérie, ayant appartenu à un corps qui se veut d’élite, mettre " tout sur la table" : les ordres indignes qu’il a reçus, les saloperies imposées par des supérieurs sans scrupules et le remords qui le tenaille aujourd’hui. Un remords particulièrement pesant lorsqu’il se rappelle les derniers regards de ses victimes. Le respect qu’il a pour Louisette est surprenant. Mais il le justifie par le fait qu’elle était une combattante du maquis "les armes à la main"... [2]

On est moins étonné des déclarations de Louisette Ighilahriz [3], car le triste destin que lui infligèrent les militaires français est mieux connu, ne serait-ce que par les révélations qu’elle fit sur le lieutenant Schmitt de l’époque... qui devait devenir plus tard chef d’État major des armées. En outre Louisette Ighilahriz est un exemple de ces héroïnes qui n’ont pas bénéficié de faveurs particulières de l’État algérien .

Il a encore des comptes à rendre !

Elle a même été récemment calomniée par d’anciens moudjahidines devenus des notables du pouvoir actuel...Voir ces articles.Et elle mène également un combat difficile pour l’égalité hommes-femmes qui déplaît parfois aux autorités [4] ou aux islamistes voir ce site

Il est important qu’un ancien "béret rouge" de Bigeard, couvert de médailles, répète une fois encore ce que les laudateurs impénitents du général persistent à ignorer : son cautionnement des actes de torture et son indignité manifeste pour faire disparaître les cadavres encombrants.

Raymond Cloarec crie sa vérité sous les menaces de collègues non repentis. Louisette Ighilahriz crie sa révulsion en apprenant le projet de transférer les cendres de Bigeard aux Invalides.

Si l’année 2012 est l’occasion de fêter l’indépendance de l’Algérie, elle devrait être aussi pour le pouvoir politique, en France, le moment d’assumer avec courage les excès de son armée et de s’opposer à toute velléité d’apologie de ceux qui, à l’occasion d’une guerre coloniale, commirent des exactions monstrueuses et des meurtres aveugles.

Une des premières à voir ce film. Réaction :

Deux destins se croisent lors d’une interview sur la guerre d’Algérie : une femme, un homme.

Ils ont tous deux moins de 20 ans et tous deux se battent sur le territoire algérien. Mais là s’arrête la ressemblance, car l’une c’est pour le reprendre, l’autre c’est pour le garder.

ELLE est consciente politiquement, lutte les armes à la main dans le maquis. LUI obéit aux ordres, éprouvant un certain plaisir au maniement des armes.
N’a-t-on pas appris aux jeunes garçons à jouer à la guerre ?

Leurs chemins se croisent à nouveau lorsqu’il est question de torture. ELLE la subit à commencer par le viol (comme si c’était toujours le tribut de la femme
à payer en temps de guerre). Toutes les femmes algériennes qui se sont battues au côté des hommes ont-elles eu la reconnaissance de la société algérienne à titre personnel, mais aussi quant à l’évolution du statut de la femme ?

LUI, la torture fait partie de son quotidien ; l’ordre vient d’en haut et l’on fait exécuter la sale besogne par les autres. Désobéir à 20 ans est chose difficile,
d’autant plus que la défaite d’Indochine n’est pas loin et qu’on ne peut se permettre de perdre une nouvelle guerre.

Sachant tout cela elle "recommencerait". Lui pas sûr car l’émotion est douloureuse à certaines évocations. Espérons simplement qu’ils se retrouvent
dans la paix.

M-P D.


[1Militant antiraciste, président d’Au nom de la mémoire, auteur de nombreux documentaires sur l’immigration, la guerre d’Algérie et ses conséquences et qui vient de diffuser un coffret de 5 DVD(En finir avec la guerre) pour "construire la fraternité à travers le passage des mémoires" (voir colonne gauche du site)

[2Grièvement blessée au maquis de Chebli dans un accrochage le 28 septembre 1957, Louisette Ighilahriz sera retenue par la 10e division de parachutistes où elle sera torturée (capitaine Graziani - sous les ordres de Massu et Bigeard), pendant deux mois et demi.
Elle sera ensuite emprisonnée à Barberousse entre le 20 décembre 1957 et mars 1958, puis à Maison Carrée et dans de nombreuses prisons françaises, avant qu’elle ne parvienne à s’évader...

[3Préface au livre que Anne Nivat lui a consacré :« Je souhaite que les Français sachent qu’en Algérie, entre 1954 et 1962, il ne s’est jamais agi d’une opération de "maintien de l’ordre" ni de pacification. j’écris pour rappeler qu’il y a eu une guerre atroce en Algérie. Il n’a pas été facile pour nous d’accéder à l’indépendance. Notre liberté a été acquise au prix de plus d’un million de morts, de sacrifices inouïs, d’une terrible entreprise de démolition psychologique de la personne humaine. Je le dis sans haine. le souvenir est dur à porter.

« Je souhaite que mon témoignage en provoque d’autres des deux côtés de la Méditerranée ; que les langues d’anciens appelés et d’officiers français qui ont vécu cette guerre et survécu se délient.

« Je souhaite que l’on retienne de mon histoire qu’il faut préserver l’être humain, d’où qu’il vienne. Ce n’est ni en torturant, ni en avilissant ou dégradant qu’on parvient à ses fins, quelles qu’elles soient.

« Avec ce livre j’ai accompli mon devoir de vérité. »

[4Pour la chair à canon, j’étais majeure,
Pour l’évasion, j’étais majeure,
Pour la torture j’étais majeure,
Aujourd’hui j’ai 74 ans, je suis grand mère 4 fois… et je suis toujours mineure
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