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Le viol, crime de guerre

mardi 19 janvier 2021, par Bernard Bessac , Danièle Malley Champeaux , Malika Fecih

Viols excusés, viols justifiés, commis en toute impunité…

Pendant la guerre de libération algérienne, l’armée française a trouvé mille et une manières de justifier ces crimes contre les femmes algériennes.

  • Le viol a été une manière privilégiée de torturer les femmes algériennes pour les faire parler,
  • Le viol a représenté une arme psychologique, pour atteindre les résistants algériens, salir leur honneur et leur dignité,
  • Le viol a aussi été pour un bon nombre d’appelés une manière d’assouvir leurs besoins sexuels.

Les délits étaient connus, couverts par la hiérarchie militaire. Et puis de toute façon, la population algérienne ne s’aventurait pas à dénoncer ces exactions, le viol comme les questions sexuelles étant tabou dans cette société pudique algérienne.

Un seul acte fut dénoncé et il mit en émoi toute la métropole française. Le mouvement féministe aidant, l’élite culturelle française se fit solidaire de Djamila Boupacha violée, torturée dans sa cellule pendant son arrestation pour terrorisme.
Avec ce procès, la célèbre avocate Gisèle Halimi profondément anticolonialiste a mis en lumière les pratiques de l’armée française pour obtenir des aveux des accusés et a permis à Djamila Boupacha d’échapper à la peine capitale.
Une seule plainte pour des milliers d’actes de viols recensés par les historiens.

Guerre et viol des femmes du clan adverse vont malheureusement de pair, Raphaëlle Branche, Vanessa Codaccioni, Marc André tous trois historiens ont fait part de leurs travaux sur le sujet. Voici 3 articles sélectionnés pour découvrir ces pratiques longtemps tues.

B. Bessac, M. Fecih, D. Champeaux, M. Tuininga, R. Moreau

Messages

  • La lettre de protestation des appelés du rang contre les tortures et les viols.

    Début janvier 59 notre bataillon de chasseurs venait d’arriver à Géryville (El Bayadh), à 450 kms au sud d’Oran, à la limite des hauts plateaux d’alpha et du désert, et les postes que tenaient les sections étaient tout autour (éloignés de 30 à 80 kms). Pour ma part je montais chaque matin de Géryville au poste de Kef el Ahmar, à 45 kms, autour duquel avaient été regroupés 4500 nomades et je soignai jusqu’à 80-100 malades chaque jour (début janvier il y avait dans ce regroupement 4 morts journaliers).
    Les rapports du poste avec les nomades étaient bons jusqu’au jour où une patrouille de la légion fut décimée à quelques kilomètres du regroupement. La rétorsion fut immédiate.
     Un tour de vis au ravitaillement.
     Arrestations de nomades, une trentaine en 15 jours, envoyés au 2e bureau à Géryville (« Il n’y en aura peut-être que deux sur dix à parler mais de tomber sur un innocent ça frappe davantage la population » disait le chef de poste).
     Cinq interrogatoires au poste même la nuit par les gradés, les appelés du rang étant totalement hors du coup ; je pus en arrivant un matin soigner deux de ces pauvres hommes torturés, dont un était resté couché dehors, nu durant toute cette nuit glaciale de janvier. Et comme en les soignant je rappelais à un des sous-officiers que notre chef de corps avait interdit qu’on touche aux prisonniers dans les postes, il me rétorqua que le 2e bureau leur avait enjoint de faire les interrogatoires dans le poste pour pouvoir exploiter immédiatement les renseignements obtenus.
     Et un matin, le 18 février 1959, un nomade qui fait irruption, hors de lui, dans l’infirmerie et m’emmène toutes affaires cessantes voir sous leurs rheïmas trois des quatre jeunes femmes ou jeunes filles qui venaient, me dit-il, d’être violées au poste par les gradés. Je les trouvai recroquevillées, tremblantes, terrifiées au milieu des leurs. J’étais moi-même horrifié et je ne pus rien faire, que leur dire à chacune ainsi qu’à leur famille mon scandale et ma honte, en leur donnant un calmant.
    Quelques jours plus tard les appelés du rang envoyaient à leur commandant de compagnie (la 2e), puis n’ayant pas de réponse au chef de corps (30e BCP), une lettre qu’ils avaient tous signé, protestant contre ces tortures et ces viols.
    S’en suivit au poste une enquête de gendarmerie pendant toute une journée (le 23 février). Aux dires de mes camarades du poste, malgré l’interdiction du chef de corps de toucher aux prisonniers dans les postes elle s’intéressa peu aux tortures. Et pour les viols, elle conclue à de la prostitution. Le sous-lieutenant et les gradés avaient fait rentrer et sortir ces 4 jeunes femmes dans le poste cachées sous des djellabas et dit aux soldats : « c’était des jeunes, on les a lâchés ». Certes ils les avaient bien amenées sous la menace d’un révolver, mais ils avaient aussi pris la précaution de leur donner à chacune 500 frs après leur viol.
    Au JMO manuscrit de cette 2e compagnie du 30e BCP pour ce 18 février il est écrit : « Liaison sur les Postes de Kérakis et de Lagermi pour ravitaillement » et pour le 23 : « Le lieutenant O…, Commandant la 2e Compagnie va visiter le Poste de Kef-el-Ahmar ». Rien non plus n’est dit dans le JMO de Secteur sur cette protestation collective des appelés du poste contre les viols et la torture. Rien sur leur audition par la gendarmerie. Et même silence dans le JMO du 30e Bataillon de Chasseurs Portés.
    Avant de muter tous ces signataires en accompagnement de convois, ce qui était la mission de loin la plus meurtrière dans ce Géryvillois où se trouvait plus de la moitié de l’ALN de l’Oranais (il y eut dans ce secteur davantage de morts dans les troupes françaises que dans l’ALN), ce même chef de corps qui avait interdit deux mois plutôt qu’on touche aux prisonniers dans les postes leur lança : « Parmi vous il y a trois ou quatre salauds et les autres sont des crétins. »

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