Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre

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Lettre d’un déserteur algérien. Sylvie Benoist

jeudi 25 janvier 2018, par Webmestre

Ce courrier a été envoyé par Sylvie Benoist à un membre de la 4ACG. Elle y présente la lettre d’un déserteur adressée à son père appelé en Algérie.

C’est avec beaucoup d’émotion que je te transmets cette lettre. Je t’avais alors raconté que ma mère, Colette, avait adhéré à votre association, et que nous avions découvert il y a quelques années une lettre que mon père, instituteur, né en 1936, appelé en Algérie en 58, avait reçue d’un compagnon de régiment, français d’origine algérienne, qui avait déserté après une permission.

J’ai convaincu ma mère de taper cette lettre, et te la fais enfin parvenir. Elle reste un mystère pour nous, pour ma mère plus encore que pour moi. Elle a rencontré cet homme alors qu’elle rendait visite à mon père, appelé à Vannes, mais elle ignore son nom. Elle pense qu’il était un peu plus âgé que lui, qu’il avait fait des études en France (on le voit bien, tant son français est fluide et parfait). Elle pense qu’il était peut-être militaire de carrière dans l’armée française, mais n’en est pas sûre.

Nous ne comprenons pas pourquoi mon père a recopié cette lettre de sa main (ma mère l’a trouvée après son décès, à 66 ans, en 2002). Pourquoi il l’a rendue anonyme (il a effacé le nom du gars), on peut le comprendre. Mais pourquoi il l’a recopiée (nous avons cette copie), gardée avec lui (pliée en plein de morceaux au point que nous n’arrivons pas à lire ce qui est écrit au niveau des plis), vraisemblablement emportée avec lui en Algérie, avec tous les risques que ça pouvait comporter pour lui ? (Maman l’a retrouvée dans son sac de l’époque). Et ce qu’il a fait de l’original (brûlé sans doute, trop compromettant ?), ça nous ne le saurons jamais…

Personnellement, je n’ai jamais entendu mon père nous parler de cette guerre qui est restée pour lui une blessure à vie. Il était très jeune à l’époque. C’était avant ma naissance, en 1960. Cette lettre date de 1958.

Vous pouvez, au nom de l’association, disposer de cette lettre comme vous le voudrez. Pour nous, elle constitue un témoignage poignant (malgré cette part de ’mystère’ que nous n’éclaircirons jamais), de la torture morale qu’a pu représenter cette guerre de part et d’autre, pour certains jeunes qui avaient l’âge qu’ont maintenant mes fils…

Nous ne saurons jamais ce qu’est devenu cet homme qui s’est confié à mon père, trouvant sans doute en lui, malgré son jeune âge (il avait alors 23 ans), une oreille suffisamment intelligente et sensible pour le comprendre. Il avait manifestement besoin, sinon de se justifier, tout au moins de s’expliquer.

Tu jugeras par toi-même du poids du dilemme de cet homme qui explique sa désertion, avec des mots pesés, sensés, justifiés…

Aussi difficile que soit notre époque, nous pouvons (mes enfants et moi), nous estimer heureux de n’avoir pas eu à connaître ces violences qu’ont vécues les 2 générations qui nous ont précédées, celles de mes grands-pères et père qui devaient partir au front, et des femmes qui attendaient, en assurant tout le reste, avec l’angoisse au ventre. Les violences sont différentes actuellement, mais si on a la chance d’être ’né quelque part’, dans un endroit préservé comme le nôtre, elles restent diffuses, et on peut espérer ’passer à travers’…ou non. D’où l’importance de notre engagement, à toi comme à moi, vis-à-vis des populations de réfugiés qui n’ont pas notre chance.

Sylvie Benoist

1958 10e Régiment d’artillerie - Vannes (Morbihan)

Lettre écrite par un militaire gradé (lieutenant ou sous-lieutenant ?), français d’origine algérienne qui a quitté l’armée française avant son départ programmé pour l’Algérie, lettre adressée à mon mari, avec qui il était ami, pour lui expliquer sa décision C’est une copie rendue anonyme par mon mari pour ne pas le compromettre, je ne comprends toujours pas qu’il ne m’ait pas confié l’original avant son départ…

Colette Benoist, épouse de Jean-Claude Benoist, auquel cette lettre était adressée.

« Aujourd’hui, si je t’écris, c’est précisément pour te demander, au nom de cette amitié, d’être un peu moins sévère envers moi et tous mes compatriotes. Je sais quelle a été ta réaction lorsque tu ne m’as pas vu arriver à Vannes à l’issue de ma permission. D’aucuns vont, et cela je m’en doute, crier « au traître ». Ceux -là, je les laisse pour ce qu’ils sont.Je pense que tu n’es pas le genre de type à emboîter le pas à ceux-là .J’ose espérer que non.

Ceux-là même qui nous traitent de tous les noms, essayent-ils au moins de nous comprendre ? Peuvent-ils savoir ou imaginer le drame de conscience qui est le nôtre du fait de notre position ? Je ne le pense pas. Personne, je pense, ne contestera que j’ai fait confiance à la France pour résoudre ce douloureux problème. Loin de s’acheminer vers un règlement du problème, celle-ci se laisse entraîner dans un cycle de luttes sans issue. Plus encore, la France s’identifie ces mois derniers avec ceux qui ont toujours et par tous les moyens empêché notre accession à la dignité.

En février 1957, un groupe de 52 officiers d’origine algérienne s’adressa au Chef de l’État, lui demandant de trouver une issue à leur drame de conscience et exprimant leurs craintes devant la politique algérienne du gouvernement. Ils concluaient en disant que si une issue n’était pas trouvée à leur drame, ils n’auraient ni les raisons ni les moyens de demeurer plus longtemps au sein de l’armée française. Des arrestations, des perquisitions, des emprisonnements vinrent récompenser cette franchise et ceux qui sur tous les champs de bataille… (illisible)

En septembre 1957, une 2e lettre fut adressée au Président de la République. C’était, conformément à la première, une lettre de démission. Je faisais partie des signataires de celle-ci. Je fus arrêté avec 15 de mes camarades dont 2 officiers supérieurs. On ne nous épargna rien…. interrogatoires interminables, etc. Au début, nous fûmes -sauf un- mis aux arrêts de forteresse, isolés les uns des autres ; puis nous fûmes inculpés de « démoralisation de l’armée ». On nous transféra à la prison de Fresnes où nous subîmes une véritable atteinte à notre dignité car là, nous étions mis au droit commun et obligés de subir toutes les vexations possibles.

Après 5 semaines de lutte de notre part comme, de leur côté, de nos avocats, on nous accorda un régime de faveur et on nous transféra dans des locaux plus décents. 5 de mes camarades furent libérés au mois de novembre 57, nous étions, de l’avis des autorités compétentes, jugés « irrécupérables ». Finalement nous fûmes mis en liberté provisoire et cela après que la section d’action psychologique eut pris l’affaire en main. Ce même service voulait en quelque sorte nous faire subir un véritable « lavage de cerveau ». C’est pourquoi je fus, avec un camarade, envoyé à Alger pour y suivre un stage de guerre psychologique et une tournée dans l’ouest algérien qui devaient, aux yeux du dit service, nous ouvrir les yeux.

On me demanda évidemment de faire une déclaration, ce que je refusai et l’on me demanda de choisir : ou Français à part entière ou retourner à Fresnes. Cependant cette dernière solution sembla avoir été écartée et c’est pour cela que j’atterris à Vannes dans l’artillerie. Là je pouvais être plus facilement surveillé.

C’est pour cela que lorsque le Général Deniaux vint faire ses adieux au 10e RA, il profita de son passage pour, selon ses propres paroles, « savoir ce que je pensais ». C’est pour cela aussi que lorsque Bronnec partit en permission on désigna Barrault qui était plus jeune que moi en grade pour le remplacer… etc… etc…

Bref ne soyons pas mesquins et laissons tout cela de côté. Mon vieux, si je te raconte tout cela, c’est pour te montrer comment et dans quelles circonstances, j’ai été amené à prendre cette décision. Je n’avais sûrement aucune raison de demeurer plus longtemps au sein d’une armée qui ne voyait en moi et en chacun de mes gestes, de mes dires, qu’un rebelle en puissance. Le coup décisif a été porté par ce qu’on appelle « la révolution du 13 mai ». On voulait, et cela par tous les moyens, rendre français un peuple qui demandait à être et à rester algérien. L’incompréhension du gouvernement ou plutôt des gouvernements nous a amenés là où nous sommes. Au lieu de reconnaître le nationalisme algérien comme un fait, une volonté, et négocier, ce qui aurait évité la perte de vies humaines de part et d’autre, on s’obstina dans une politique stérile. Le nationalisme algérien n’était plus qu’une ramification du communisme, le FLN n’était qu’un ramassis d’assassins, de bandits, etc ! Voilà les thèmes sur lesquels les gouvernants français lancèrent leur propagande, que d’ailleurs les Français croient de moins en moins. Le peuple français commence à comprendre.

Aujourd’hui on veut, dans un pays où il n’y a aucune liberté d’expression, de réunion-sauf bien sûr pour les ??? (illisible) procéder à une consultation générale. Il ne fait pas de doute qu’officiellement les Algériens auront répondu massivement oui. Faut-il encore savoir s’il leur aurait été permis de dire non ? N’oublions pas le rôle de l’armée. Elle est chargée de tout et d’ici qu’elle organise par elle-même les élections et les résultats, il n’y a qu’un pas que certains franchiront aisément. Personnellement, le résultat de ces élections me laissera indifférent vu les conditions dans lesquelles cette consultation a eu lieu.

Si, aujourd’hui, je crois de mon devoir de rompre, crois moi, ce n’est pas de gaieté de cœur et ne désire aucune cassure entre nous. Il n’y a dans mon acte aucun (illisible)… anti français. J’aime trop la France pour que cela puisse arriver. Je ne suis et ne serai jamais antifrançais. Si je romps aujourd’hui, c’est contre une politique qui tend à faire de moi et de mes compatriotes des traîtres, oui car la cause que défendent ceux qui se battent est une cause universellement connue : la France n’a-t-elle pas signé la Charte des Nations Unies ? Refuser ce droit sous quelque prétexte que ce soit est refuser d’appliquer ou de mettre en pratique un engagement que l’on a pris devant l’humanité entière.

J’ai espoir que, tôt ou tard, une Algérie libre et indépendante fera son entrée dans le concert des nations. Cette Algérie, tu le verras toi-même, sera, malgré tout ce qui s’est passé, une amie de la France. Elle aura besoin de toutes les bonnes volontés françaises pour être un État moderne.

Partant de ce principe, je garde à tous les camarades que j’ai connus au 10è et ailleurs toute l’estime que j’avais pour eux. Après cet orage, nous aurons besoin de cette amitié. Elle constitue pour le moment un pont par delà les luttes, les haines, les passions, un pont certes fragile mais qui retrouvera, le moment venu toute sa vigueur.

Avant de terminer, je voudrais te dire encore une chose, j’étais -au dire de la Sécurité Militaire- un communiste. Je me demande où ces messieurs ont trouvé cela, ça provient du fait que j’avais choisi et sans le savoir, un avocat qui était communiste. Si je te raconte cela c’est pour te montrer les accusations à la légère dont nous étions, mes camarades et moi, victimes……. »

N. B. Note de Colette Benoist, ma mère, épouse de Jean-Claude, le destinataire de cette lettre :

La fin comme le début de la lettre avaient été rendues anonymes. La dernière partie de la lettre n’était-elle pas prémonitoire ? Ce rapprochement fut long, lent, mais ceux qui retournent en Algérie sont très bien accueillis. C’était un souhait très cher à mon mari de retourner là-bas à la retraite. Les années 90 n’étaient pas favorables… Après c’était trop tard…. L’association fait un travail remarquable autant là-bas qu’en France, mais après nous…..