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Metz, cet autre théâtre de la guerre d’Algérie

vendredi 27 août 2021, par Michel Berthelemy

par Élise Descamps, publié par La Croix le 23 juillet 2021.

Dans la nuit du 23 au 24 juillet 1961, deux militaires sont tués par des Algériens lors d’une rixe. 300 parachutistes pro-Algérie française lancent, en représailles, une expédition punitive, la « Nuit des paras ». Un collectif mène un travail de mémoire et de dialogue.

23 juillet 1961. La guerre d’Algérie se vit aussi sur le territoire français. À Metz, comme ailleurs en Lorraine où les ouvriers algériens sont nombreux, les tensions sont vives entre Algériens, à l’époque de nationalité française, sommés de choisir leur camp dans la lutte à distance pour l’indépendance, et avec les forces de l’ordre. Le 1er régiment de chasseurs parachutistes vient d’arriver dans cette ville de garnison, sanctionné pour avoir participé au putsch des généraux, le 21 avril, à Alger.

Dans un dancing, comme la veille, une bagarre dégénère entre militaires et Algériens. Deux soldats sont tués. Alors, toute la nuit, en représailles, 300 paras sillonnent la ville pour traquer et brutaliser la communauté nord-africaine, notamment dans le quartier du Pontiffroy, où logent dans des conditions précaires quelque 2 000 Algériens. Bilan de la gendarmerie : quatre morts (deux parachutistes, le barman du dancing et un « Français de souche nord-africaine », est-il écrit), 28 blessés. Mais certaines sources, comme la Ligue des droits de l’homme mosellane, évoquent déjà, à l’époque, jusqu’à 100 blessés.

Halima*, 66 ans, s’en souvient comme si c’était hier. « J’avais 8 ans. D’anciens voisins ont été lynchés. Le lendemain, j’ai lu le journal à mes parents, analphabètes. Ils étaient terrorisés. » Les Algériens, dans les mois suivants, se terrent. « On parlait tout bas, on craignait de sortir, on s’est mis à avoir peur des Français et de tous les militaires, alors que les fautifs étaient surtout les anti-de Gaulle. » Après l’indépendance, en juillet 1962, tous ont voulu tourner la page, et le traumatisme a été enfoui. « Le sujet est resté tabou, même moi je n’en ai pas parlé à mes enfants, confie Halima. Je témoigne aujourd’hui parce que c’est important de savoir ce qui s’est réellement passé, y compris au sein de la communauté algérienne. Il faut crever les abcès. »

Connaissance historique des déclinaisons de la guerre d’Algérie sur le sol lorrain, hommage aux victimes, reconnaissance de toutes les mémoires et projection vers l’avenir sans esprit de revanche… C’est tout le travail que mène depuis cinq ans le Collectif juillet 1961. Ce vendredi, date du 60e anniversaire de la « Nuit des paras », il déposera des gerbes sur les lieux symboliques où sont mortes les victimes des deux côtés. Samedi, l’historienne Raphaëlle Branche présentera son livre Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?

« Nous essayons d’aller à contre-courant des stéréotypes, de maintenir la complexité des débats et de nous tourner vers l’avenir. Il y a des mémoires diverses de la guerre d’Algérie, et chez chacun des parcours de souffrance et d’exil. Nous ne cherchons ni à raviver les plaies ni à trouver un équilibre, ce qui serait impossible », explique Sélima Saadi, à l’initiative de ce collectif qui regroupe des Franco-Algériens, des descendants de pieds-noirs, des militants de l’association 4ACG (Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre) et de simples citoyens.

Mais l’histoire de cette sanglante nuit messine devrait interpeller au-delà. « Elle est encore méconnue au plan national, commente Lucas Hardt, historien spécialiste de cet épisode. Or s’il ne s’agit pas d’un massacre comme celui du 17 octobre 1961 à Paris, il ne faut pas non plus la prendre comme un simple fait divers. Occulter le contexte colonial et la guerre d’Algérie, comme si elle n’avait pas eu de déclinaisons en métropole, serait une erreur. » Pendant quatre heures, cette nuit-là, souligne-t-il, ni la police ni la gendarmerie n’ont eu la moindre réaction : « Cela faisait cinq ans, à l’époque, qu’ils recevaient des ordres pour accroître la pression sur les Algériens. Le maire de Metz, Raymond Mondon, soutenait avec enthousiasme l’Algérie française. Le climat était propice. »

* Son prénom a été modifié.

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