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Qu’est-il arrivé à mon père ?

mercredi 17 avril 2019, par Malika Fecih

Je suis Malika Fecih, fille de Slimane n’Amar Moh Lounis, torturé à l’électricité et laissé pour mort avec une balle dans le dos…

À la lumière de vos témoignages, je suppose qu’il a dû être victime d’une de ces fameuses corvées de bois !
Je ne sais pas où a eu lieu ce sordide évènement si banalement répandu par l’armée coloniale française pendant la lutte algérienne pour son indépendance.
Je ne sais pas non plus pourquoi…
Mon père n’était pas un Moudjahidin, je l’ai toujours connu profondément pacifiste. Certes, comme tous les Algériens et toutes les Algériennes, il était partisan d’une Algérie libre et indépendante. Comment ne pas l’être ? Face aux inégalités, aux humiliations, au mépris vécus quotidiennement.
Est-ce que tous les hommes algériens étaient présumés coupables de soutien au FLN ? Par conséquent susceptibles d’être arrêtés, emprisonnés, torturés, tués…
Mon père a survécu à la corvée de bois !
Le soldat, obéissant à contre-cœur, a-t-il volontairement inachevé mon père ?
Était-il tellement enivré qu’il a mal visé ?
Ou, les yeux embués de larmes, le coup n’a pas pu être fatal ?
J’aimerais croire à cette dernière version, celle qui redonne un peu d’humanité aux soldats tortionnaires.

Mon père a connu l’Algérie libre et indépendante.
Aujourd’hui, je ne sais toujours pas pourquoi il a subi ce supplice.
Lui demander ?
Mon père n’est plus là pour raconter… Ma mère frappée par la maladie d’Alzheimer ne m’est pas d’un grand secours.
J’ai perdu mon père à 21 ans, âge où l’on ne soupçonne pas que la mort peut emporter les êtres les plus chers. Un âge où l’on ne s’intéresse pas à l’histoire de ses parents ou si peu, accaparé à construire sa propre histoire.

30 ans plus tard, une voix étouffée provenant de je ne sais où, du fin fond de mes entrailles se fait entendre.
Elle réclame la lumière sur ce qui s’est passé !
Elle réclame juste !
Elle veut comprendre !
L’entendez-vous ?
Elle parle à travers mes yeux, mes oreilles, mon nez, ma bouche, mes mains, tous mes sens.
Elle ne veut plus se taire.
Je dois lui répondre.

Pour ma paix intérieure, aidez-moi à trouver des réponses.

Malika Fecih. Herblay le 15/04/2019

mmoussi free.fr

Messages

  • Malika, votre témoignage est très émouvant. Comment. Plus d’un demi-siècle plus tard on vous fait encore souffrir ! Au nom de notre patrie, je voudrais vous demander pardon.
    Et je vais aussi oser tenter de vous répondre. Les tenants de ce qu’ils appelaient la guerre contre-révolutionnaire cherchaient à terroriser la population.
    Lors de la première rafle dans le rassemblement de nomades où j’étais infirmier, l’un des soldats me dit : « On ramasse tous les possesseurs d’une lame de rasoirs ». Et en les voyant partir pour le 2e bureau, un lieutenant ancien d’Indochine lança « le chef de poste m’a dit que sur les 10 il n’y en aurait peut-être que 2 à parler, mais de tomber de temps en temps sur un innocent ça frappe davantage la population ».
    Hannah a repéré comment pour être efficacement terrorisantes sur une population, les exactions doivent être gratuites. Les tortures et la tentative d’assassinat, heureusement avortée, de votre père, c’est ça !

    Hannah Arendt a aussi vérifié que ces exactions, pour entrainer la terreur, doivent être le fait de l’ensemble du groupe dominant, ou que du moins il faut qu’aucun des membres de ce groupe dominant n’exprime de la réprobation devant le groupe à terroriser.

    Ces dernières années, en la lisant, j’ai enfin réalisé que donner en catimini un bol de soupe à un prisonnier, parler sans hurler à une mère et à ses enfants lors d’une descente dans un village, refuser de tourner la gégène, ne pas se porter volontaire pour une corvée de bois, ne pas voir un djounoun au cours d’un ratissage, soigner un nomade torturé, refuser d’achever un fellaga blessé, ne rien casser ni voler au cours d’une fouille,.. avoir une parole de respect, un geste, une mimique de compassion… avec parfois de petits riens nous avons heureusement été nombreux à protéger le peuple algérien de cette terreur de la France que les tenants de la guerre contre-révolutionnaire voulaient faire naître en Algérie.
    Vous écrivez : « Mon père a survécu à la corvée de bois !
    « Le soldat, obéissant à contrecœur, a-t-il volontairement inachevé mon père ?
    « Était-il tellement enivré qu’il a mal visé ?
    « Ou, les yeux embués de larmes, le coup n’a pas pu être fatal ?
    « J’aimerais croire à cette dernière version, celle qui redonne un peu d’humanité « aux soldats tortionnaires. »
    Moi, je croirais volontiers à cette dernière version. C’est miraculeux un homme qui échappe à la corvée de bois ! Et encore merci pour votre témoignage.

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