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Retour en Algérie, le film

mardi 19 juillet 2016, par Gérard C. Webmestre , Emmanuel Audrain

par Emmanuel Audrain

Synopsis

Ils ont eu 20 ans, entre 1954 et 1962. Comme deux millions de jeunes Français, ils ont fait leur Service militaire pendant la Guerre d’Algérie. Tortures, « corvées de bois »… Ils en ont été témoins. C’est la blessure dont leur génération n’a pu parler.

50 ans plus tard – au moment de toucher leur retraite du combattant – certains, sortent de ce long silence. Ils se regroupent et refusent – pour eux-mêmes – cet argent de la guerre. Ces retraites, ils les collectent et les redistribuent à des associations algériennes. Et puis, ils parlent… Ils osent affronter, leur douleur et leur honte. « Pourquoi n’avons-nous pas hurlé notre désaccord ? »

Aux jeunes Français, qu’ils vont rencontrer dans les établissements scolaires, ils disent : « Parfois, il faut désobéir… Oser dire Non ! »

Cette histoire a bouleversé leurs vies. Mais – aujourd’hui – l’âge venu, ils veulent contribuer à en écrire une autre page… Solidaire et fraternelle, celle-là.

Résumé

La Guerre d’Algérie – dont ils n’ont pu parler – a dévasté leurs jeunesses. Aujourd’hui, au moment de toucher leurs « retraites du combattant », ils disent :

« Cet argent, nous ne pouvons pas le garder, pour nous-mêmes.  » Alors, ils le collectent et le redistribuent à des associations, en Algérie. Avec ces projets solidaires, leurs cœurs ont rajeuni. Eux, qui s’étaient tus si longtemps, parlent enfin, rencontrent des jeunes… Et retournent en Algérie.

Cimetière mémorial d’Ighzer Amokrane, en Kabylie

Djoudi Attoumi, ancien combattant algérien

LES TÉMOINS DU FILM

REMI, CULTIVATEUR à ALBI

Rémi Serres s’exprime avec le bel accent de l’Aveyron.

La guerre d’Algérie, elle s’est rappelée à lui par l’intermédiaire de son fils, qui a choisi de ne pas faire son Service militaire.

« « Un fils Objecteur… » Je me suis dit que je ne le laisserais pas tomber. Quand il a été convoqué devant un Tribunal, j’ai témoigné. J’avais bien préparé des notes, mais j’ai oublié de les lire, emporté par tout ce que cette guerre avait enfoui en moi. La peur, l’incompréhension, les cris des prisonniers… C’est sorti d’un coup.
C’est pour ça, qu’à 65 ans, quand j’ai eu la possibilité de toucher cette « retraite du combattant », je n’ai pas hésité. C’était Non ! J’avais vu trop de souffrances. Quand j’ai questionné mon ami Georges Treilhou, lui aussi cultivateur, il m’a répondu : « Moi, j’ai décidé de la demander et de la reverser à une association. C’est une démarche individuelle. Mais si – ensemble - on peut lui donner une dimension collective, je suis « partant » ! »

C’est ainsi que, en 2004, à l’initiative de Rémi, de Georges et de deux autres cultivateurs naissent les « Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre », les « 4ACG ».

Tous, mettent leurs retraites du combattant dans un pot commun, puis ensemble ils redistribuent cet argent à des associations, en Algérie et en Palestine.

EN BRETAGNE, UNE FEMME DE GÉNÉRAL

À l’autre bout de la France, en Bretagne, Simone de Bollardière (la veuve du général qui dénonça la torture en 1957) apprend par son Journal quotidien, la création de cette Association. « Bravo, écrit-elle aussitôt. Mon mari serait fier de vous ! »

Quelques mois plus tard, invitée à Albi pour la première Assemblée Générale (2004), elle n’hésite pas à traverser la France. La voici, autour d’une grande table où ils sont 17. Beaucoup d’hommes, quelques femmes. Mieux qu’aucune autre, Simone de Bollardière devine le poids de souffrance que chacun porte.

Elle dit : « Ce n’est pas dangereux de parler… »

Simone de Bollardière

GÉRARD, TECHNICIEN DES FORAGES

Dans le film, Gérard Kihn se souvient de l’effet libérateur de cette première rencontre. « Ce que je n’avais jamais pu dire à ma femme, mes enfants ou mes proches, j’ai enfin pu le partager, sous le regard bienveillant de Simone de Bollardière.
Quand elle a dit, avec toute sa conviction : « Ce n’est pas vous, les coupables ! », j’ai été bouleversé. Alors que je ne voulais pas prononcer un mot, je me suis entendu dire : « J’ai été parachutiste chez Bigeard. Vous devinez la suite…

Gérard Kihn

Après m’avoir écouté, une enseignante m’a conseillé d’écrire. J’ai refusé. « Ce n’est pas mon métier. » Elle a insisté…
Une nuit, réveillé par un cauchemar, j’ai pensé à elle et commencé à noter ces éclats de violence qui troublaient ma vie quotidienne ; des notes rapides, puis plus tard une mise au propre. Mon livre s’est construit, à partir de tous ces moments.
Ma nombreuse famille, de l’Est de la France, qui le découvre, n’en revient pas !  »

(« Le sang des autres », Empreinte Éditions)

STANISLAS, SÉMINARISTE

Originaire de Rennes, Stanislas Hutin appartient à une famille qui a été marquée par l’esprit de la Résistance. En 1956, il est sursitaire (donc plus âgé) et se prépare à devenir Jésuite. Nommé Instituteur, il tient son « Journal de bord », où il note la banalisation progressive de la torture (Nous ne sommes pourtant qu’au début de la Guerre).

À plusieurs reprises, il exprime son incompréhension à ses supérieurs. Ses camarades le soutiennent, mais certains « paras », ne cachent pas qu’ils souhaiteraient l’accompagner en opération… « Pour lui faire la peau ».

L’événement qui marquera « à vie » Stanislas Hutin, c’est la compréhension – en pleine nuit – que les cris qu’il entend, ne sont pas ceux d’un chacal égaré dans le camp… Mais, ceux d’un jeune homme de 14 ans, torturé à l’électricité. Le jeune « Boutoute », qu’il connaît bien.

Au matin, Stanislas Hutin hurle sa révolte… Et le jour même, il propose à Boutoute de le photographier. « Ce sera une photo à montrer en France, dit-il. »

Ce qu’il ne sait pas, c’est que ce très beau portrait en couleur, ce regard perdu vers le lointain, va retenir l’attention des Historiens… Cinquante ans après, Benjamin Stora et Tramor Quémeneur en feront la couverture de deux de leurs livres. Le visage de Boutoute est devenu l’icône d’un peuple, en souffrance.

…« Boutoute »

PIERRE, SYNDICALISTE OUVRIER

Dans son grenier, Pierre Rambaud a tout gardé ; Journal, courriers, Cahier de chanson, transistor, appareil photo, douilles de bombes incendiaires… Devenu syndicaliste aux Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, Pierre a le verbe haut, « Il parle bien ! ».

Dans les années 2000, sollicité par le Mouvement de la Paix pour une conférence sur la torture, avec Simone de Bollardière et Madeleine Rebérioux de la Ligue des Droits de l’Homme, il accepte de témoigner.

« Je n’ai pas pu aller au bout de mon intervention, dit-il, j’étouffais… Ça ne sortait plus. Trop d’émotions !
Les cris des torturés – pendant des mois – c’est vraiment ce qu’on a vécu de plus dur. »

GEORGES, AGRICULTEUR

Avec son bel accent du Tarn, l’homme est posé, réfléchi. En Algérie, Georges Treilhou était chauffeur. Dans son camion, il a transporté les populations des villages de montagne que l’on « déportait » vers les Centres de regroupement.

« On a vidé les montagnes d’Algérie, pour mieux les contrôler.
Deux millions de personnes déplacées, sur une population de huit millions, ce n’est pas rien. Des femmes, des enfants, des vieillards… Avec la sous-nutrition et les maladies…
On ne peut pas dire que « le pays des droits de l’Homme », se soit très bien comporté, à ce moment-là.

Aghouren, village vidé et bombardé en 1957

Lors de notre récent Retour en Algérie, quand j’ai revu l’un de ces villages, aujourd’hui abandonné et en partie détruit, je me suis senti mal. Je n’en ai plus dormi.
Beaucoup découvraient ces faits… Moi, je les revivais ! »

GILLES, AGRICULTEUR

Gilles Champain est originaire de Vendée.

Lui aussi, a été sollicité par son fils aîné : « Papa, je ne connais pas ta vie… »

Gilles promet d’écrire, se met à l’ordinateur, commence puis ne peut plus avancer. « J’ai été chauffeur au Deuxième Bureau, le service des Renseignements…
Pour moi, écrire, c’est revivre. J’ai failli arrêter.
Ma femme m’a aidé. Et j’ai pu aboutir à ce fascicule de textes et de photos. J’en ai remis un, à chacun de nos enfants. Cela nous a permis de parler.
Sauf avec l’une de nos filles, encore trop bouleversée. »

GÉRARD, TRAVAILLEUR SOCIAL

Gérard Lechantre  : « Découvrir cette Association a été une révélation. Pour la première fois, j’ai commencé à parler à mes enfants de mon affectation au « Bataillon de Corée », parmi des « fous de guerre ».

Quant à ce Voyage - ce « Retour en Algérie » - il a été exceptionnel. Quel accueil !

  • Soyez les bienvenus, disent-ils. Nous n’avons pas senti de haine chez ce peuple qui a beaucoup souffert.
  • Nous n’avons pas fait la guerre au peuple français, précisent-ils, mais au colonialisme. »

Aujourd’hui, ils attendent de la France - qu’au plus haut niveau de l’Etat - elle ait l’honnêteté, de « reconnaître les faits. » »

LA FRANCE, MALADE DE L’ALGÉRIE

Retour en arrière. En juin 2000, la journaliste Florence Beaugé publie dans Le Monde un entretien avec une résistante algérienne, Louisette Ighilahriz, torturée pendant trois mois dans une unité parachutiste. Elle veut retrouver - et remercier - le médecin militaire qui lui a sauvé la vie. Son témoignage met en cause les généraux Massu et Bigeard.

Le général Bigeard menace le journal d’un procès tonitruant. Le général Massu - à la surprise de tous - répond que ces faits sont plausibles. Ajoutant : « Quand je repense à l’Algérie, ça me désole. On aurait pu faire les choses différemment… »

Trois mois plus tard, à 92 ans, donnant sa dernière interview à Florence Beaugé, il ajoutera : « On aurait dû faire autrement. »

Au même moment, le général Aussaresses, son adjoint pendant la bataille d’Alger, décrit la systématisation de la torture et la liquidation - pour les six premiers mois de 1957 - de 3000 opposants Algérois. « Sans remords », dit-il.

Il reconnaît avoir éliminé lui-même, l’avocat Ali Boumendjel et le résistant Larbi Ben M’Hidi (Le « Jean Moulin algérien »).

LES HISTORIENS, COMME DES REPÈRES

L’ensemble de la presse, se fait l’écho de ces révélations. En quelques mois, la France redécouvre son passé algérien. Les historiens sont sollicités, Pierre Vidal-Naquet, Benjamin Stora… Mais aussi, la jeune génération des Tramor Quémeneur, Claire Mauss-Copeaux, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault… Leurs ouvrages - tous remarquables - rencontrent un large public.

L’ESPRIT DE RÉSISTANCE

Devenue Présidente d’honneur des « 4ACG », Simone de Bollardière dit souvent :

« Heureusement que mon mari s’est opposé à la torture. Intérieurement, je ne cesse de le remercier !

Pour les anciens Appelés, particulièrement quand ils vont à la rencontre de jeunes collégiens ou lycéens, le général Jacques de Bollardière – le militaire le plus décoré de la France Libre - est un homme qu’ils aiment évoquer.

« Nous l’admirons parce qu’il a su désobéir. Il a osé dire, Non ! »

Ils ajoutent : « Le plus dur, pour nous, ce n’est pas tant ce que nous avons fait… Que, ce que nous n’avons pas fait.
Les actes de résistance que nous n‘avons pas posés. Ou, pas assez.

UN RÉALISATEUR AU LONG-COURS

En 2008, c’est Simone de Bollardière, qui m’incite à venir à l’Assemblée Générale des « 4ACG », qui se tient en Bretagne. La vitalité de ces retraités, fait plaisir à voir. Mais, ce qui me marque, c’est ce moment où les nouveaux adhérents se lèvent et se présentent, évoquant chacun leur parcours algérien.

Un « grand costaud » dit ne pas avoir besoin du micro, mais il n’arrive pas à achever son récit, la voix brisée.

Pour beaucoup, « c’est la première fois » qu’ils parlent. Certains ont les larmes aux yeux, d’autres doivent se rasseoir prestement, submergés par l’émotion.

Ce moment de vérité – exceptionnel – me rend cette Association très précieuse.

Le projet de film naîtra un peu plus tard. Sa réalisation s’étalera sur trois années. En 2013, notre petite équipe a accompagné les trois Voyages de l’Association. 35 jours en Algérie, pour moi. Avec un matériel très discret, nous avons filmé du mieux que nous avons pu… Pour nous rendre compte, au stade du montage, que le vrai voyage de ces hommes, était bien sûr, leur voyage intérieur. Celui, qui va de leurs 20 ans à aujourd’hui. Ce long chemin, où avec cœur et intelligence, ils ont su retrouver l’estime d’eux-mêmes.

LE TESTAMENT DE TIBHIRINE

Mon précédent film « Le Testament de Tibhirine » a été diffusé sur France 3 en 2006, « à une heure très tardive ». C’est ainsi, qu’il a rencontré - par hasard – un homme de cinéma ; ce spectateur attentif, est le futur scénariste et producteur du film « Des hommes et des dieux ».

Trois ans plus tard - après le succès que l’on sait ! - celui-ci dira, que « Le testament de Tibhirine » a joué pour lui, le rôle d’un « déclic ». Dans la nuit qui avait suivi, il s’était promis d’être présent au Festival de Cannes, avec cette même histoire (« Pourquoi sont-ils restés ? »), sous la forme d’une fiction.

Dans « Le testament de Tibhirine » (le documentaire) on apprend que trois des sept moines, ont fait la Guerre d’Algérie… Eux aussi, en avaient été durablement marqués. En revenant vivre en Algérie, ils avaient accompli, un désir très profond.

Les moines, comme les « Anciens Appelés en Algérie Contre La Guerre », avaient su faire de cette épreuve de leur jeunesse, un élan, un tremplin, pour « plus de vie ». Les uns et les autres, affirmant une même solidarité – indéfectible - avec le peuple algérien.

Cette convergence m’intéresse et me touche.

Emmanuel Audrain, Lorient.

Annaba, 2 mai 2013. Nous sommes le deuxième groupe d’Anciens Appelés et d’Amis de l’Association, à poser le pied en Algérie.

Gérard Kihn - l’ancien parachutiste - note dans son carnet :

« Je sursaute.
Ils sont là en face de moi. Détendus et accueillants.
Notre histoire commune à refonder.
Et maintenant leur jeunesse si pétillante d’intelligence et de curiosité qui attend tout de la vie.
Le fol espoir.
Je les aime.
 »

Bande Annonce du documentaire Retour en Algérie from Emmanuel Audrain on Vimeo.

Le site du film :

http://www.retourenalgerie-lefilm.com

Retour En Algerie, le film