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Témoignages au Lycée Jean-Baptiste Poquelin de Saint-Germain-en-Laye

samedi 8 avril 2023, par Christian Travers

Le 4 avril 2023, à l’initiative de l’ONACVG et sous la conduite du professeur d’histoire et géographie monsieur Raphaël Loffreda et de la responsable déléguée de l’ONACVG Emma Coutin, quatre témoins ont rencontré une classe Terminale de 35 élèves.

Par Christian Travers

Le format de la séance a obéi au schéma habituel privilégié par l’ONAC :
 Interventions libres et sans interruption des quatre témoins,
 Réponses aux questions des élèves pendant trois quarts d’heures.
Voici l’essentiel de ce qui a été dit à chacune des interventions 

Lalia Ducos
Elle indique d’abord que dès le début de la guerre elle a soutenu le courant indépendantiste et qu’après l’indépendance, elle s’est fortement engagée dans des mouvements féministes en Algérie.
Elle rappelle aussi la monstruosité de la conquête coloniale et le système qui a été mis en place.
Elle est née en 1942 à Cherchell (l’ancienne Césarée romaine). Sa mère était allée à l’école primaire ce qui n’était pas si fréquent. Son père a travaillé très jeune, mais il a curieusement bénéficié d’une formation dispensée par un rabbin et un curé ! Sa mère était couturière et son père travaillait dans une usine d’anchois.
La famille s’est ensuite déplacée à Blida, à 50 km. Ils ont d’abord été hébergés dans un bain maure (un hammam) puis dans une maison ou une dizaine de familles étaient rassemblées, chacune dans une chambre, le plus souvent. Aucune des filles de ces familles n’allait à l’école sauf elle. Elle garde le souvenir d’une ambiance très chaleureuse avec beaucoup de solidarité mais les contacts avec des Européens n’existaient pas.
Après son premier parcours scolaire, son statut d’ « indigène » désignait Lalia pour des études ménagères. Ses parents ont refusé ce destin inscrit dans l’usage tout comme celui de porter le voile, et elle a pu entrer au lycée.
Soudain ce fut la découverte de deux mondes parallèles, même les marchés n’étaient pas les mêmes. A force de travail ses parents ont pu accéder à un logement décent dans un quartier européen et Lalia qui ressemblait à une petite française, qui parlait cette langue et qui ne portait pas le voile a pu s’intégrer facilement. Elle garde un magnifique souvenir de la fraternité qui régnait dans ce lycée franco-musulman où elle est entrée en 1956.
Pour la première fois elle s’est vue effacer son complexe d’infériorité.
La guerre avait commencé. Son père militait au FLN et dans la famille on écoutait la radio du Caire. Un jour, découverte glaçante. Un écriteau devant une plage : « interdit aux chiens et aux Arabes ».
Bientôt son père a été arrêté, malmené, torturé. Pendant 40 jours sa famille n’a reçu aucune nouvelle sur son sort. Après de nombreuses démarches un commandant a permis des visites. Le prisonnier était méconnaissable et après cet enfermement et les sévices subis il est resté brisé. Le commandant qui avait fait preuve d’humanité a été sanctionné et muté.
Lalia trouve bientôt un travail à la mairie, dans de très bonnes conditions, sans discrimination, mais elle découvre aussi la misère de ceux qui viennent la voir. Plus tard, vers la fin de la guerre, elle est témoin d’un mitraillage par les ultras de l’Algérie française. La foule se couche mais hélas deux personnes ne se relèveront pas. Ce fut pour elle un tel traumatisme que, de la période qui a suivi, elle n’a gardé aucun souvenir.

Jean-Paul Ducos
Européen d’Algérie, il est né dans ce pays, et est devenu algérien. Il s’est marié à Lalia et ils ont eu trois enfants.
Il est né à Montagnac, près de Tlemcem, à l’ouest du pays, en 1937. Le nom de Montagnac est celui d’un général de la conquête coloniale qui s’était distingué en donnant des prescriptions particulièrement cruelles pour mener la guerre à la population algérienne.
Deux populations séparées vivaient à Montagnac. Une majorité arabe ou berbère constituée de ruraux et de commerçants, et une minorité de juifs et d’européens : 1000 au total. Ces derniers étaient soumis, si l’on peut dire à l’obligation scolaire et gratuite. Les Arabes, majoritairement, n’allaient pas à l’école. Ils étaient des sujets sans avoir le statut de citoyens. Ainsi au moment des élections et bien qu’ils soient dix fois plus nombreux ils ne bénéficiaient que d’un nombre équivalent de représentants.
Le plus souvent, les juifs portaient des noms arabes et parlaient cette langue.
Mon père venu de France a épousé une femme provenant d’une famille pauvre qui avait quitté l’Espagne.
Mon père, fonctionnaire des impôts, était pénétré de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Il était partisan d’une intégration qui accorderait des droits identiques à toute la population. Plus de justice et d’égalité. Il le manifestait par des actes singuliers. Ainsi des Arabes pouvaient venir dormir à la maison. Son père l’a aussi inscrit à l’école coranique ce qui lui a conféré un statut qui en imposait à ses camarades arabes. Au collège on n’observait aucune distinction entre les élèves. A Montagnac il a mené une vie heureuse.
À son arrivée à Alger il n’avait aucune idée politique. Ses intérêts se portaient sur les mathématiques et les filles, mais il s’est heurté à Alger à un autre monde. Il s’est mis à lire Camus et surtout Aimé Césaire. Son livre : « Discours sur le colonialisme » l’a beaucoup influencé.
Il s’est même opposé à son libéral de père qui vantait la modernisation apportée par la France à l’Algérie. À l’université les pieds noirs étaient de beaucoup majoritaires et seule une minorité d’étudiants était favorable à l’indépendance. Celle-ci s’opposait à Susini qui représentait les partisans de l’Algérie française et lors d’élections elle obtenait près de 30 % des votes. Lorsque de Gaulle, dans un discours a évoqué l’autodétermination, la radicalisation des étudiants pieds noirs s’est imposée. Avec d’autres il s’est vigoureusement opposé aux mouvements extrémistes en faveur de l’Algérie française.
En 1960 il est venu en France pour échapper aux menaces et poursuivre ses études. Il se mêle alors aux émigrés arabes et soutient leur combat. De loin et avec incompréhension il observe les divisions et les dernières luttes suicidaires des pieds noirs.
Après l’indépendance il revient en Algérie, devient professeur de mathématiques à l’université et épouse Lilia.

Messaoud Guerfi 
En préalable il énonce : « Tout être humain est une exception, il a le droit au respect de sa dignité ».
Messaoud est né en Algérie. Il est issu d’une famille d’agriculteurs et de commerçants. En 1957 il est réquisitionné par l’armée pour rouvrir l’école du village qui avait était saccagée par le FLN. Aidé par un jeune officier l’école a été reconstruite et progressivement les enfants sont revenus.
Afin d’être tranquilles ses parents payaient l’impôt aussi bien à l’administration française qu’au FLN. Ils étaient discrets et ne prenaient pas parti. Après les premiers et ambigus discours de Gaulle, les esprits se sont enflammés. Après le discours de Guelma du président, en 1958, son père, ancien combattant de la guerre 39/45 a applaudi. Cela a déplu et peu après il a été assassiné avec 6 membres de sa famille.
Au moment où il a été appelé sous les drapeaux Messaoud a déclaré qu’il ne voulait pas partir en France ou en Allemagne pour faire ses classes, car il devait aider sa mère à nourrir sa famille : 4 enfants encore jeunes dont un de deux ans. Un officier lui a alors proposé de s’engager comme supplétif et de continuer son enseignement. Progressivement l’école s’est élargie avec le bénéfice d’instituteurs professionnels, mais il est néanmoins resté présent dans l’école. Il assurait en même temps une fonction de traducteur auprès des autorités françaises.
Il tient à signaler que si l’armée française a tué et torturé, les membres de l’ALN ont également commis des exactions souvent atroces. La loi du FLN a souvent été imposée par la force.
Les accords d’Évian ont fini par être conclus mais de part et d’autre les engagements n’ont pas été tenus. On ne peut occulter, le massacre de très nombreux harkis en 1962, les luttes fratricides entre les partisans de l’indépendance pendant la guerre et au moment de la prise de pouvoir celles qui ont opposé l’armée des frontières et les combattants de l’intérieur.
Après l’indépendance Messaoud a repris paisiblement le commerce de ses parents puis il a été incarcéré une première fois et interrogé et ensuite libéré. Puis sans qu’il puisse l’expliquer il a été à nouveau arrêté, emprisonné, torturé cruellement et a passé quelques semaines très difficiles. Le 8 novembre grâce à sa mère et un officier de l’ALN il a pu s’enfuir et gagner la France ce qui lui a permis d’aider d’autres harkis en difficulté et de s’intégrer très correctement à la société française.

Christian Travers
Après les témoignages riches et émouvants des trois témoins précédents il pense que son récit ne sera pas très spectaculaire mais, paradoxalement, il croit que par sa banalité, il peut être utile. Il cherchera en s’appuyant sur son expérience algérienne à illustrer trois thèmes dont chacun pourra voir qu’il peut entrer en résonance avec sa conscience, celle de la nouvelle génération représentée par cette classe qui, espère-t-il, saura construire un monde plus juste, plus solidaire, plus généreux et plus fraternel.
Il fut appelé à combattre en Algérie de juillet 1960 à septembre 1962 et depuis quelques années, il a adhéré à une association, la 4acg (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre). La particularité de cette association qui aide à la réconciliation entre le peuple algérien et le peuple français se rattache au fait que les appelés qui ont participé à la guerre d’Algérie touchent une pension d’anciens combattants. Au moment de toucher cette pension, les fondateurs de l’association ont considéré qu’ils avaient du sang sur les mains ou que du moins ils étaient plus que d’autres porteurs du déshonneur de la France dans cette guerre imbécile. Cette pension leur restait en travers de la gorge. C’est pourquoi ils ont créé cette association afin de collecter ces pensions et de les reverser, à titre de réparation, à des associations algériennes puisque ce peuple a souffert de la guerre et aussi à des associations palestiniennes puisque cette population est aujourd’hui victime d’une colonisation.
C’est une façon de dépasser ce passé douloureux et de fraterniser avec le peuple algérien.

Les trois thèmes qui seront évoqués avec les élèves sont les suivants :

 Soumission servile ou résistance vertueuse, ou pour le dire autrement : obéissance et nécessaire discipline que l’on peut opposer dans certaines circonstances au devoir d’indignation et de révolte.
Christian avait 14 ans lorsque des attentats ont marqué le début de la guerre d’Algérie. Il était en 4 ? et il avait étudié la guerre qui avait conduit l’Irlande à se libérer de la domination britannique. Le rapprochement s’était imposé à son esprit. L’Algérie avait été conquise dans le sang et les blessures restaient vives. Combattre en Algérie des résistants qui n’aspiraient qu’à se soustraire au joug de la colonisation n’était pas légitime. Cette prétendue pacification ne pouvait conduire qu’au fiasco.
Pourtant lorsqu’il a été appelé il n’a pas su dire NON. La question le taraude encore.

 Doit-on obéir à un ordre injuste, contraire à ses valeurs et au respect des droits et à la dignité des hommes ?
Toutefois, ayant professé haut et fort son hostilité à cette guerre il a été nommé à un poste d’instituteur qui lui a permis d’être en paix avec sa conscience.
Hélas cela n’a pas duré. Ayant attrapé une jaunisse, bénéficié de soins en Algérie puis d’une permission de convalescence, à son retour en Algérie le poste avait été supprimé et il s’est retrouvé derrière un canon à la frontière du Maroc qui était en outre défendue par des barbelés, des lignes électriques et des mines.
Il n’y avait personne au bout de son fusil, c’était loin, mais il y a eu des morts, beaucoup, certainement. Il ne faisait que tirer au canon, sur un ennemi improbable, dont il ne voyait pas le visage.

 C’est la banalité du mal et l’inhumain se loge en chacun de nous. L’obéissance aux ordres, la routine. « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres » ont dit les nazis. « Ce n’est pas moi qui décide, c’est le parti » disait Staline. Apprenons à penser par nous-mêmes, à résister face à l’injustice.
Enfin pendant son séjour en Algérie il a pu mesurer le poids de l’encadrement militaire, l’évolution des mentalités de ceux qui l’entouraient et sans doute de lui-même.

 En pays totalitaire, en situation de guerre la propagande, la crainte de la répression, la peur, provoquent des situations qui peuvent amener à perdre son pouvoir de penser librement, de raisonner avec bon sens, de distinguer entre le bien et le mal.

Et pour finir il a souhaité conclure ainsi :
Si tu veux la paix, prépare la guerre disaient les Romains. Il préfère dire : Si tu veux la paix, connais la guerre et ses atrocités.
En Algérie les moudjahidines sont morts pour la libération de leur pays alors que les soldats français ne sont pas morts pour la France mais à cause des gouvernements de la France qui prétendaient empêcher un peuple d’accéder à la liberté. Nous étions là pour le « maintien de l’ordre » mais pour un ordre injuste.
Et il laisse la parole à Albert Einstein :

« Le monde est dangereux à vivre, pas à cause de ceux qui font le mal, mais, à cause de ceux qui regardent et qui le laissent faire ».

Je souhaite remercier l’établissement de l’accueil dont nous avons bénéficié et particulièrement, outre le professeur concerné cité ci-dessus, Mesdames Lydia Lanoe et Dounia Hajouji, professeures documentalistes et aussi Monsieur Eric Warmant, directeur du service départemental de l’ONACVG pour le département des Yvelines.

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