Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre

Accueil > Actualité, presse, autres associations > Un Gazaoui qui refuse de partir : « Je préfère mourir debout chez moi (...)

Un Gazaoui qui refuse de partir : « Je préfère mourir debout chez moi »

jeudi 26 octobre 2023, par Michel Berthelemy

Ziad ne partira pas. Il restera jusqu’au bout, défendant la fierté d’une population qui ne veut pas connaître un nouvel exil. Il raconte la terrible situation de l’enclave, qui tente de survivre sous un tapis de bombes.

A l’Air libre, Mediapart, Mathieu Magnaudeix, 17 octobre 2023

Ziad Medoukh est professeur de français dans plusieurs universités de Gaza et vit dans le nord de la bande. Si sa famille est partie dans le sud de l’enclave, hors de question pour lui de partir. Il refuse une deuxième Nakba, c’est-à-dire l’exil forcé vécu par les Palestiniens et Palestiniennes en 1948 lors de la création de l’État d’Israël. Nous avons pu nous entretenir avec lui mardi 17 octobre au matin, pour un entretien vidéo diffusé dans l’émission « À l’air libre ». Nous en publions des extraits, dans lesquels il nous raconte son quotidien et nous explique pourquoi il refuse de partir.

Mediapart - À quoi ressemble votre quotidien ?

Ziad Medoukh  - Depuis onze jours, je vis l’horreur absolue. Comme habitant de Gaza, j’ai vécu quatre offensives, en 2009, 2012, 2014 et 2021. Mais c’est la première fois que je vis une situation pareille. La différence avec les précédentes offensives, c’est d’abord son ampleur : presque 8 000 bombardements jusqu’à maintenant, un toutes les deux-trois minutes partout dans la bande de Gaza.

Les destructions massives sont en train de détruire toutes les infrastructures civiles et de couper les routes entre les villes, les villages et surtout les quartiers. On assiste à une crise humanitaire jamais vue. On n’a pas d’électricité, ni eau, ni nourriture, ni médicaments. Lors des précédentes offensives, il y avait quelquefois une trêve après deux-trois jours et l’ouverture de passages. Là non. Même les organisations internationales sont débordées. Le quotidien est très difficile. Jusqu’à samedi, j’étais avec ma famille, mais je me sentais impuissant à protéger mes enfants et ma femme. Donc j’ai été obligé de les évacuer avec beaucoup de difficultés. C’était un choix très difficile, mais je ne me sens pas seul. Je suis avec 900 000 personnes qui habitent toujours dans le Nord.

Pourquoi ai-je décidé de rester seul et de subir l’horreur, l’angoisse et l’inquiétude ? Parce que je ne veux pas vivre une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe. Si aujourd’hui je quitte ma maison, ma ville, Gaza, je quitte la Palestine et je serai de nouveau réfugié.

750 000 Palestiniens ont quitté le nord de la bande de Gaza, 900 000 ont décidé de rester, comme moi. La majorité appartient à la société civile, ce sont des universitaires, des intellectuels. Nous résistons par l’attachement à la terre, l’éducation, la non-violence. Donc le fait de rester ici fait partie de ma façon, à moi, de résister face à l’atrocité de l’occupation.

Non seulement on assassine les enfants de Gaza, mais aussi la paix et la stabilité dans cette belle région qu’est la Palestine.

Nous avons décidé de rester malgré la mort de beaucoup de collègues et amis. Personne n’est à l’abri. Si je quitte ma maison, je me sentirai humilié de l’intérieur toute ma vie. Donc je préfère mourir debout chez moi et j’ai pris le risque. Mais, pour le moment, je survis avec peu de moyens, avec une batterie rechargeable parce qu’on n’a pas d’électricité, on n’a pas d’eau. Je vais tous les deux jours acheter de quoi manger et surtout je vais charger la batterie parce que je suis sollicité par des médias francophones. Mon quotidien est très difficile.

Les 750 000 déplacés, qui se trouvent actuellement dans les hôpitaux, les centres d’accueil, dans les écoles, vivent aussi une situation dramatique parce qu’ils dorment par terre. Ils n’ont ni matelas ni couvertures, les organisations internationales sont débordées, leurs dépôts ont été bombardés, personne ne s’occupe de ces déplacés si on excepte quelques initiatives de la société civile pour distribuer de la nourriture et de l’eau.

Il n’y a aucune réaction de la part de la communauté internationale. Cette communauté internationale est en train de cautionner les crimes israéliens. Non seulement on assassine les enfants de Gaza, mais aussi la paix et la stabilité dans cette belle région qu’est la Palestine, qu’est le Moyen-Orient. Pour le moment, on tient bon avec notre volonté et notre détermination. La question qui se pose est : jusqu’à quand les Palestiniens de Gaza vont-ils tenir bon dans un contexte très difficile ?

Que voulez-vous dire lorsque vous expliquez ne pas vouloir revivre une nouvelle « Nakba » ?  

L’objectif israélien ne vise pas que des partis politiques ou des factions militaires. Il s’attaque à la volonté du peuple palestinien. Nous subissons un blocus depuis seize ans, avec des conséquences dramatiques sur les plans psychologique, économique, social… Mais même si nous avons vécu quatre offensives, nous sommes toujours debout. Le peuple de Gaza est toujours debout, près des ruines des maisons.

L’objectif israélien est de mettre la pression, de semer la terreur, de pousser les Palestiniens de Gaza vers l’Égypte, dans le Sinaï. L’objectif est de vider la bande de Gaza et de créer une nouvelle prison. Moi, je préfère mourir debout chez moi. Cela n’est pas un geste héroïque ni un suicide. Je ne suis pas un héros ni un responsable. Je suis un simple citoyen palestinien, mais je me sens porte-parole de la jeunesse, de la société civile. C’est pourquoi j’ai décidé de rester malgré les risques. Il s’agit de ma terre, de ma ville et de ma patrie. Je ne vais pas céder à la propagande, aux menaces israéliennes.

Avez-vous des nouvelles de votre famille ?

Bien sûr. Ils se trouvent chez mes frères. Dans le quartier, il y avait 250 personnes, trente sont restées, comme moi. Les autres sont dans le sud et le centre de la bande de Gaza. J’appelle tout le temps ma famille. C’est difficile. Quand j’appelle ma femme, les enfants pleurent.

Comment faites-vous pour avoir de l’électricité ? 

J’ai une batterie rechargeable qui me donne deux-trois heures d’électricité par jour. Avant l’offensive, nous avions seulement six heures d’électricité par jour : 40 % de cette électricité vient d’Israël et 60 % vient de la seule centrale électrique à Gaza, qui fonctionnait à 25 % de ses capacités parce qu’elle a été bombardée à plusieurs reprises. C’était le quotidien de tous les foyers palestiniens. Comme prof de français, j’ai une batterie rechargeable, ce qui me permet de donner des cours en ligne ou des Zoom comme pendant la pandémie ou de communiquer avec le monde francophone.

Il faut intervenir en urgence pour sauver personnellement la vie des enfants de Gaza, des nourrissons, des mamans qui ne trouvent pas de médicaments.
Mais depuis une semaine, tout est bloqué. Il n’y a pas de fuel pour la centrale électrique, donc on est passés à zéro. Par conséquent, nous n’avons pas d’eau, car les citernes fonctionnent à l’électricité. J’achète de l’eau minérale pour boire et me laver. Pour l’électricité, je vais tous les jours chez les voisins car ils ont un panneau solaire et je recharge ma batterie entre 11 heures et 14 heures.

Comment les derniers jours se sont-ils passés autour de chez vous ?  

Autour de chez moi, jusqu’à 50 mètres, trois immeubles ont été détruits les premiers jours. On a croisé les doigts mais ils ont été détruits et c’est une école de l’UNRWA qui était visée. Le bruit est terrible. On a un sentiment d’impuissance parce qu’on ne peut rien faire. Auparavant, quand il y avait un bombardement, on pouvait aller apporter du secours aux voisins. Mais maintenant, même les ambulances sont bombardées. Quinze ambulanciers ont été assassinés. De même que seize journalistes. Ils ne peuvent plus témoigner. Quand ils bombardent un lieu, ils peuvent revenir après trois ou cinq minutes, voire le lendemain. Même les morts meurent plusieurs fois à Gaza. 

Donc là, vous êtes complètement isolé dans votre immeuble ?  

Oui, même si j’ai des voisins, un cousin. Nous partageons les repas. Nous sortons tous les trois jours pour faire des courses. Auparavant, il y avait des magasins dans le quartier à 200 mètres, maintenant c’est à 900 mètres. On essaie d’aller acheter des baguettes de pain – les boulangeries sont débordées –, de faire un peu de réserves, notamment de pâtes.

Quels messages aimeriez-vous envoyer au monde ?

J’ai quatre messages précis. D’abord un message très fort aux dirigeants internationaux : ne cautionnez plus les crimes israéliens. Ce qui se passe aujourd’hui, ce sont des crimes de guerre, ce sont des crimes contre l’humanité.
Des organisations comme Amnesty International le disent. Donc, il y a des morts.

Il faut intervenir en urgence pour sauver personnellement la vie des enfants de Gaza, des nourrissons, des mamans qui ne trouvent pas de médicaments ou des jeunes qui ne trouvent pas de couvertures pour dormir, qui dorment dans la rue. Il faut essayer de sauver un processus de paix, essayer de sauver la paix et la stabilité dans la région. Il faut intervenir en urgence pour faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il ouvre les portes pour l’acheminement des aides internationales.

Il faut surtout qu’il arrête ces frappes, qui ont fait presque trois mille morts et onze mille blessés en onze jours, c’est du jamais-vu. C’est une situation catastrophique au niveau humanitaire et sécuritaire. 

Gaza, ce n’est pas le Hamas. Le Hamas fait partie de Gaza, mais Gaza, c’est aussi la société civile, les intellectuels, les femmes. Et donc, s’il vous plaît, arrêtez de mettre dos à dos le Hamas et l’armée d’occupation.
Deuxième message aux médias étrangers. Je ne demande à personne d’être pro-palestinien, mais je veux qu’on soit pour la justice, qu’on regarde la réalité.

Malheureusement, beaucoup de médias, y compris français, donnent la parole au porte-parole de l’armée d’occupation, mais rarement aux Palestiniens. Nous essayons de témoigner d’une façon objective, mais les médias, malheureusement, sont en train de prendre position. Je vous demande de regarder la réalité, même si elle est très dure. 

Troisième message très important à tous les amis qui montrent leur solidarité : merci pour votre soutien, pour cette solidarité magnifique.

Enfin, un dernier message, envoyé à tout le monde : Gaza, ce n’est pas le Hamas. Le Hamas fait partie de Gaza, mais Gaza, c’est aussi la société civile, les intellectuels, les femmes. Et donc, s’il vous plaît, arrêtez de mettre dos à dos le Hamas et l’armée d’occupation. 

Il n’y aura jamais une solution militaire à ce conflit, la seule solution, c’est la paix, la justice et le respect du droit international et l’application de toutes les résolutions internationales. Aujourd’hui, les Palestiniens ne réclament pas la lune mais la création d’un État palestinien. Nous réclamons aussi des élections depuis dix-huit ans. Ce sont les Israéliens qui ont refusé l’appel du président palestinien Mahmoud Abbas en 2021 à organiser des élections à Jérusalem. C’est seulement à travers des élections que les Palestiniens peuvent choisir de nouveaux représentants qui peuvent les défendre, qui peuvent parler en notre nom.

Donc n’oubliez pas Gaza, n’abandonnez pas Gaza.

Source Mediapart abonnés :

https://www.mediapart.fr/journal/international/171023/un-gazaoui-qui-refuse-de-partir-je-prefere-mourir-debout-chez-moi

Messages

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.