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Rattacher la tragédie des harkis à l’histoire de la colonisation
jeudi 27 octobre 2022, par
Les deux enfants de harkis auteurs de cette tribune publiée par le quotidien Libération, Abd El Kader Mokhtari, originaire de Messelmoun (Cherchell), qui a grandi à la Cité de la Briqueterie à Amiens, membre du Rassemblement Harki et du Collectif Justice pour les Harkis et leurs familles, et Amar Assas, originaire de Chir (Willaya de Batna, dans l’Aurès), qui a vécu enfant dans le camp de forestage de Rosans, dans les Hautes-Alpes, considèrent qu’il faut replacer le sort des harkis dans le contexte de la colonisation. Amar Assas, dans une tribune parue le 26 août 2022 dans Le Monde, a regretté les propos tenus par Gisèle Halimi sur les harkis, mais a considéré que son opposition au colonialisme, comme son féminisme, justifient pleinement les nombreuses demandes en faveur de sa panthéonisation.
par Amar Assas et Abd El Kader Mokhtari, publié par Libération le 20 octobre 2022.
Source : histoirecoloniale.net
Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, que savons-nous réellement de cette histoire franco-algérienne qui débuta en 1830 et se termina en 1962, comme elle avait commencé, dans une lutte armée d’une violence inouïe, entrainant la mort de centaines de milliers de personnes, en très grande majorité des civils ?
La guerre d’Algérie est l’aboutissement de plus d’un siècle d’injustices et de violences physiques et morales dont le grand public n’a qu’une connaissance très partielle due, notamment, à un enseignement très insuffisant du fait colonial.
Les puissances coloniales ont du mal à regarder en face un passé qui a mis à mal leurs valeurs fondatrices et les droits fondamentaux inhérents aux individus qui sont les nôtres. Comment la France, pays des droits de l’Homme qui a affirmé, au prix du sang, après 1789 que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, a pu coloniser tant de pays et mettre en œuvre une suprématie absolue basée sur une prétendue supériorité de la civilisation européenne et la hiérarchisation des populations, en fonction de leur origine ethnique et religieuse, comme ce fut le cas en Algérie, vantant indécemment l’œuvre civilisatrice de la France dans ce pays ?
La conquête militaire initiée en 1830 et prélude à un système colonial d’une rare brutalité, a été le théâtre de crimes de masse que l’on pourrait qualifier de crimes contre l’humanité comme l’a fait Emmanuel Macron en 2017. La ségrégation raciale et sociale, la confiscation-spoliation des terres les plus fertiles redistribuées aux Européens d’Algérie, la destruction des fondements de la société traditionnelle algérienne, de la personnalité même des individus par la domination et les humiliations permanentes ont entrainé des traumatismes psychiques pour tous ces « indigènes musulmans », hommes, femmes, pères, mères ou enfants, de génération en génération, qui persistent encore, à ce jour.
L’enrôlement des Harkis
L’histoire des Harkis, terme générique désignant les supplétifs musulmans enrôlés au côté de l’armée française durant la guerre d’indépendance, prend ses racines dans l’histoire même de la colonisation.
Les Harkis autant que leurs ancêtres furent, comme tous les autres autochtones, des victimes de ce système colonial arbitraire, injuste et d’une violence extrême. Ceux qui ont pris les armes au côté de la France ont été enrôlés massivement parce qu’il existait une stratégie pensée, mise en œuvre par les autorités françaises pour contrecarrer la guerre révolutionnaire du FLN. Cet enrôlement « sans consentement libre et éclairé », facilité par la terreur que certains éléments du FLN ont fait subir à des civils, s’est fait de manière cynique par le pouvoir militaire et politique français créant une guerre fratricide tout en sachant ce qu’il allait advenir de ces « indigènes musulmans » après le cynique désarmement et le lâche abandon.
La grande majorité des supplétifs musulmans n’ont jamais été des mercenaires, ni des collabos, encore moins des traîtres. Ils ne sont pas non plus des héros ou de valeureux combattants comme l’affirment certains. Ils étaient tout simplement des hommes de devoir pour leurs familles, pris dans la tourmente de la guerre face à des situations qui les ont dépassés. Dans une telle situation, où chaque homme est placé face à son destin guidé par le code de l’honneur, la vengeance, mais aussi par le fatalisme, la tragédie annoncée a mis en mouvement tous ces acteurs...
Devoir de vérité, d’Histoire et de mémoire
Le Président Macron a déclaré vouloir rompre avec le déni et l’amnésie. Nous prenons acte de sa volonté de faire toute la lumière sur le fait colonial en Algérie. Son discours prononcé le 20 septembre 2021 à l’Élysée en présence de Harkis et leurs descendants, semblait s’inscrire dans cette même démarche de vérité. Ce jour-là, il a demandé pardon aux combattants abandonnés en France et en Algérie, à leurs familles qui ont subi la violence, la prison, les camps, l’oubli. Mais que signifie cette demande de pardon si l’on n’est pas capable d’aller jusqu’au bout de la démarche ?
Cette exigence de Vérité qui s’impose à tous, doit nous permettre de dire clairement toutes les fautes commises par l’État français et l’État algérien à l’égard de toutes ces victimes.
Des visions parfois très divergentes existent sur ces questions mémorielles. Il s’agit donc d’écrire ensemble une histoire commune. Ce sera le rôle de la commission mixte d’historiens voulue par le Chef de l’État français et son homologue algérien. Ce travail d’historiens devra entendre également les témoignages des différents acteurs de cette histoire, des deux côtés de la Méditerranée. C’est tout l’enjeu de l’apaisement des mémoires pour la réconciliation tant attendue.
Ce travail historique et mémoriel devra s’accompagner d’une juste réparation. Il est donc impératif que l’ensemble des fautes et des préjudices causés soit clairement énoncé et reconnu dans le cadre d’une commission d’évaluation et d’indemnisation des préjudices subis.
Sur la question mémorielle, nous proposons la création d’un monument rappelant l’exil des familles de Harkis autorisés à venir en France dans les ports où elles ont débarqué. Une flamme du « harki inconnu » pourrait être allumée au camp de Rivesaltes en hommage aux enfants qui y ont été enterrés anonymement et aux victimes d’exécutions sommaires sans procès préliminaire en Algérie. La préservation des camps laissés à l’abandon renforcerait ce devoir de mémoire. Des plaques frappées des noms des familles installées dans chacun des camps et des hameaux de forestage rappelleraient que des êtres humains ont vécu et souffert dans ces lieux d’enfermement. C’est à ce prix que les générations futures pourraient connaître l’apaisement.
Abd El Kader Mokhtari, originaire de Messelmoun (Cherchell), a transité par la Citadelle de Doullens et la Cité de la Briqueterie à Amiens, membre du Rassemblement Harki et du Collectif Justice pour les Harkis et leurs familles, et Amar Assas, originaire de Chir (Willaya de Batna – Aurès), passé par le camp de forestage de Rosans (05150), auteur de Le trèfle à cinq feuilles, Ed. Baudelaire, à paraitre.
Avec le soutien de : Françoise Dumont, François Gèze, Gilles Manceron, Tramor Quemeneur et Alain Ruscio.
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