Accueil > Actualité, presse, autres associations > Reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 : une nouvelle esquive

Reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 : une nouvelle esquive

dimanche 31 mars 2024, par Gérard C. Webmestre , Michel Berthelemy

par Olivier Le Cour Grandmaison. Le Club de Mediapart. 29 mars 2024

À la suite de modifications majeures, imposées par l’Elysée, la résolution relative à ce qu’il s’est passé le 17 octobre 1961, a été adoptée le 28 mars à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une nouvelle esquive conforme à la politique d’Emmanuel Macron en ces matières. Si des compromis sont parfois nécessaires, le texte témoigne de compromissions inacceptables, contraires aux faits depuis longtemps établis, documentés et analysés par des historiens et des politistes.

« L’évidence est là : la jonction que nous redoutions en avril entre les tortionnaires d’Alger et les tortionnaires de M. Papon est réalisée dans les faits. Les méthodes de terreur de masse instaurées à Alger par le général Massu et les colonels Godard et Trinquier ont été transplantées à Paris. La Seine charrie des noyés qui évoquent les noyés de la baie d’Alger, les "crevettes" du colonel Bigeard. »
(Editorial de Vérité. Liberté de novembre 1961)

À la suite de modifications majeures, imposées par l’Elysée, la résolution, initiée par la députée écologiste Sabrina Sebaihi, relative à ce qu’il s’est passé le 17 octobre 1961, a été adoptée le 28 mars 2024 à l’Assemblée nationale. Nul doute qu’elle sera saluée comme un geste courageux par l’actuelle majorité, le gouvernement, le chef de l’Etat et quelques historiens-conseillers qui expliqueront doctement qu’il s’agit d’un nouveau pas en avant.

Nouvelle esquive, en fait, conforme à la politique d’Emmanuel Macron en ces matières. Si des compromis sont parfois nécessaires, le texte voté témoigne de compromissions inacceptables car elles sont contraires aux faits depuis longtemps établis, documentés et analysés par des historiens et des politistes français et étrangers. A la suite des travaux pionniers de Jean-Luc Einaudi, les uns et les autres ont permis d’avoir une connaissance toujours plus précise de ces massacres, de la chaîne de commandement et des méthodes employées par la police et les supplétifs harkis – disparitions forcées, tortures, exécutions sommaires, noyades – dans la capitale et la région parisienne. Méthodes inspirées de la doctrine de la guerre contre-révolutionnaire mise en œuvre en Algérie puis importées en métropole, comme Pierre Vidal-Naquet et plusieurs autres contemporains des événements d’octobre 1961 l’avaient montré dans une publication essentielle : Vérité. Liberté consacrée à ces massacres et publiée un mois plus tard. Bien connu également le mensonge d’Etat forgé au lendemain de ces actes et destiné à imputer la responsabilité des violences et des morts, dont le nombre est considérablement minoré, au seul FLN.

Quant aux revendications des premier·es concerné·es, mobilisés depuis 1991, et à celles du collectif unitaire, créé en 2001, pour la reconnaissance de ces massacres comme crime d’Etat, elles sont une nouvelle fois traitées en chiens crevés puisque ni les premiers, ni le second n’ont été consultés. Ce qui se fait sans eux, se fait contre eux, cette résolution le confirme une fois encore.

Fidèle à ses orientations sur ces sujets, Emmanuel Macron s’obstine à nier ce qui est désormais bien connu. Celles et ceux qui ont répondu à l’appel du FLN, et manifesté pacifiquement à Paris et dans les quartiers populaires, pour protester contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé depuis le 5 octobre 1961 par le préfet de police Maurice Papon avec l’aval du gouvernement, ont été victimes d’un massacre. Et ce massacre a une adresse identifiée depuis longtemps : l’Etat français ce pour quoi il doit être qualifié de crime d’État. Conformément aux desiderata du président, plus soucieux de politique intérieure et de considérations diplomatiques – rétablir des relations acceptables avec l’Algérie et préparer le voyage officiel de son dirigeant, A. Tebboune - que de la vérité historique, la résolution précitée circonscrit la responsabilité de ce qu’il s’est passé au seul préfet de police. Mauvaise fable qui serait dérisoire si elle n’était obscène en raison de l’extrême gravité des faits qu’elle travestit et de l’occultation des rapports hiérarchiques de l’époque sur laquelle elle prospère.

Il est en effet établi que Maurice Papon a agi, avant, pendant puis après le 17 octobre 1961, avec le soutien de ses supérieurs, le ministre de l’Intérieur Roger Frey et le chef du gouvernement Michel Debré ; tous deux résolus, quoi qu’il en coûte, à empêcher une démonstration de force du FLN dans la capitale. A charge pour ce préfet d’accomplir cette mission jugée particulièrement importante. Elle s’inscrit dans la continuité des tâches qui lui ont été confiées par le même Roger Frey qui déclarait peu avant : il faut « frapper juste et fort » pour « démanteler [...] l’organisation rebelle ». Ainsi fut fait avec les terribles conséquences que l’on sait. Soutenus par des personnalités du parti présidentiel, l’Union pour la Nouvelle République (UNR), les mêmes et beaucoup d’autres ont aussitôt couvert les pratiques meurtrières de leur subordonné puis élaboré une version officielle destinée à occulter l’ampleur du massacre commis.

La position de l’actuel chef de l’Etat, confortée par la résolution amendée par ses services, témoigne une fois de plus d’une conception platement partisane et instrumentale de l’histoire. De là, la singularité des rapports qu’Emmanuel Macron, ce très mauvais élève de Paul Ricoeur, entretient avec les faits. Convoqués le plus souvent de façon partielle et partiale, ces derniers sont presque toujours tronqués et minimisés pour mieux les coucher dans le lit de Procuste des récits et des commémorations officiels. Plus encore et à dessein, « Jupiter » confond histoire et mémoire en cherchant à faire croire que la seconde, élaborée par ses conseillers et lui-même, est conforme à la première.

La fable élyséenne et mensongère, forgée pour exempter l’Etat français et ses serviteurs de l’époque de toute responsabilité dans les massacres du 17 octobre 1961, en atteste. Eviter tout scandale, complaire aux desservants du culte national, entretenir la thèse immunitaire, mythologique et consensuelle, à droite comme au sein d’une certaine gauche, selon laquelle le gouvernement de l’époque, le général de Gaulle, bien sûr, et la République, sont étrangers à ce qu’il s’est passé, tels sont les objectifs du président.

Celles et ceux qui prétendent incarner une alternative progressiste et qui se disent attachés à laa vérité et à la justice ne peuvent se satisfaire de cette pusillanimité réitérée et de ce mépris à l’endroit des travaux des historiens, des revendications des victimes, de leurs descendants et de tous ceux qui les soutiennent. Aux représentant·es de gauches politiques suggérons ceci : avant les célébrations du 8 mai 1945 déposez une nouvelle résolution exigeant la reconnaissance des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata comme crimes contre l’humanité et profitez des débats ainsi suscités pour y inclure la reconnaissance de tous les crimes coloniaux commis par la France dans les territoires de son empire et dans l’Hexagone.

Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire.

Source :

https://blogs.mediapart.fr/o-le-cour-grandmaison/blog/290324/reconnaissance-des-massacres-du-17-octobre-1961-une-nouvelle-esquive

Olivier Le Cour Grandmaison. Dernier ouvrage paru : Racismes d’Etat, Etats racistes. Une brève histoire, éditions Amsterdam, 2024.

ISBN 9782354802820
19 euros
240 pages
Paru le 02 février 2024
http://www.editionsamsterdam.fr/racismes-detat-etats-racistes/

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.