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Témoignages au collège Gustave Flaubert à Paris, le 12 mai 2023

jeudi 18 mai 2023, par Christian Travers

Pour la troisième fois, à l’invitation des responsables de l’établissement et de Kamel Chabane, professeur d’histoire et géographie, et pour la première fois à cinq, des « acteurs » de la guerre sont venus témoigner et raconter leur histoire en Algérie au moment de la guerre.

par Christian Travers

Kamel est l’un des coordinateurs principaux et l’un des animateurs du collectif intitulé « Territoires vivants » qui entend démonter la possibilité d’une éducabilité pour tous les élèves et ainsi apporter une toute autre réponse constructive à l’idée lancée par l’ouvrage paru il y a 20 ans sous le titre « Les territoires perdus de la République » (1). Deux livres qui rassemblent des exemples positifs de l’action de ces professeurs militants ont été publiés par ce collectif sous les titres :

– ?« Les territoires perdus de la République. Ce que peut l’école, réussir au-delà des préjugés » coordonné par Benoit Balaize. Éditions : La Découverte, 2018

– ?« Parce que chaque élève compte. Enseigner en quartiers populaires » coordonné par Kamel Chabane et Benoit Falaize. : Éditions de l’Atelier, 2022.

Les cinq témoins avaient toute la matinée pour échanger avec les élèves à partir de trois temps forts :

– ?la projection du film d’animation Souvenir, souvenir…  réalisé par Bastien Dubois,

– ?l’intervention de chacun des cinq intervenants,

– ?une séance de réponse aux questions des élèves.

Le récit et le ressenti des intervenants

Christian Travers, ancien appelé, a d’abord été invité à prendre la parole :
Il évoque la 4acg et ses valeurs qu’il partage et qui l’ont conduit, notamment, à transmettre dans les collèges et les lycées sa mémoire de la guerre d’Algérie et les enseignements qu’il a tirés de cette funeste aventure.
Il indique que dès 14 ans, au moment du déclenchement des attentats par le FLN, alors qu’il étudiait en 4 ? la guerre qui avait amené les Irlandais à se libérer de la domination britannique, sa conviction s’était forgée : combattre en Algérie des résistants qui n’aspiraient qu’à se soustraire du joug de la colonisation n’était pas légitime.
Mais, en bon républicain, respectueux des ordres du gouvernement, démocratiquement élu, il a accepté l’incorporation. Toutefois en raison des opinions qu’il exprimait il fut nommé à un poste d’instituteur ce qui lui permit d’être en paix avec sa conscience.
Malheureusement cela n’a pas duré aussi longtemps qu’il l’aurait souhaité et il a fini son service militaire à la frontière du Maroc, derrière un canon. Il ne voyait pas le visage de ceux sur qui il tirait, mais il ne doute pas que des combattants de l’ALN ont été victimes de ces tirs.
Des expériences douloureuses qu’il a vécues, il tire des enseignements qu’il délivre aux élèves en les encourageant aux questionnements et à la vigilance, à l’engagement et parfois à l’indignation et la révolte. Et il développe des thèmes que l’on peut résumer ainsi :
– ?soumission servile ou résistance vertueuse ? Obéissance aveugle ou devoir d’indignation et de révolte ? Doit-on obéir à un ordre injuste ?
– ?pouvoir de la propagande et menace d’embrigadement. En pays totalitaire, en situation de guerre, par crainte de la répression, la peur peut conduire à perdre son pouvoir de penser librement, de distinguer entre le bien et le mal - banalité du mal : comment des hommes « normaux » parviennent-ils, dans certaines circonstances, à commettre des actes contraires à leurs valeurs morales.

Rahim Rezigat, jeune militant du FLN, intervient ensuite.

Après avoir combattu contre les Allemands en 39/45 et être prisonniers, deux de ses oncles ont trouvé un travail à Saint Etienne. C’est auprès d’eux en France qu’il a poursuivi ses études. Dans le milieu des immigrés algériens qui sympathisaient avec le FLN où il se trouvait, les rafles et les arrestations se succédaient. C’est ainsi qu’il fut arrêté, resta emprisonné pendant un mois dans un commissariat à Saint-Étienne et subit de sévères interrogatoires.
Ensuite, durant trois ans et demi, il fut interné dans les camps du Larzac et de Thol. C’est là qu’il a pu parfaire sa formation humaine et politique, apprendre à écrire l’arabe et apprécier l’extraordinaire solidarité qui régnait parmi les internés.
Présent à Paris au moment des massacres du 17 octobre 1961, prévenu, il a réussi à se cacher et n’a pas été arrêté, mais il gardera à jamais le souvenir de cette nuit noire…
Alors que, comme tout sujet algérien, il devait être incorporé pour effectuer son service militaire il a pu fuir en Allemagne et échapper aux autorités.
Il est désormais le président d’une association très active dans le domaine culturel et les voyages, à Saint-Denis : l’APCV, Agence de la Promotion des Cultures et des Voyages.

Puis Héliette Paris, européenne d’Algérie…

Heliette Paris est la fille unique de parents dont les aïeux sont arrivés en Algérie en 1848, soit 18 ans seulement après le début de la conquête et la reddition d’Alger en 1830.
La plaine de la Mitidja, très proche d’Alger, était une terre fertile, très vite accaparée par les colonisateurs. Comme les Algériens ne disposaient pas de titre de propriété au sens français du terme, et que de nombreuses terres étaient des propriétés collectives, l’armée a pu sans scrupule chasser les exploitants algériens et distribuer les terres expropriées à des Européens qui le plus souvent provenaient du nord de la Méditerranée. Un contrat était signé pour 5 ans avec les bénéficiaires de la concession. Le voyage était payé, les terres étaient offertes, un village était construit. Le concessionnaire devait assécher les marais, planter des arbres et construire sa ferme. Si au bout de 5 ans ces obligations étaient respectées le nouveau venu devenait le propriétaire. Pour beaucoup d’immigrés qui étaient pauvres c’était la perspective d’un paradis.
De fait c’est le souvenir qu’en garde Héliette : logement confortable, familles d’ouvriers dévoués, hébergés simplement dans la concession, agréable climat et odeurs des fleurs d’orangers…
Mais c’était une enfant seule, élevée sévèrement. C’est pourquoi elle s’évadait souvent vers les nombreux enfants des familles des ouvriers où elle était accueillie comme une princesse et où elle pouvait évoluer plus librement. C’est d’autres merveilleux souvenirs d’un bonheur perdu, d’une terre généreuse et d’un peuple chaleureux qui l’ont façonnée.
Son arrivée à Alger en 1954, pour aller au lycée, fut un déchirement. Elle avait vécu dans un monde qu’elle jugeait harmonieux qui allait être mis à mal par une poignée de terroristes. Elle découvrait le racisme qui existait à Alger alors que ses parents respectaient les Arabes et les Berbères de l’exploitation. Elle a alors rencontré une violence extrême, des cadavres déchiquetés par des bombes.
Après le putsch des généraux qui intervint lors d’un changement de cap politique et la naissance de l’OAS, elle a été le témoin de deux assassinats froidement exécutés au revolver : une femme qui marchait devant elle et un homme qui attendait le bus avec elle et dont le corps en s’effondrant glissa sur le sien. En juin 1962, elle quitte l’Algérie avec deux valises et découvre une France hostile à ce que les Français appellent les Pieds noirs. Cataloguée, stigmatisée, proscrite elle en vient à 18 ans à s’inventer, pour échapper au racisme qu’elle découvre à son encontre, une nouvelle identité.

… et voici Messaoud Guerfi, ancien harki :

Messaoud est né dans une famille d’agriculteurs et de commerçants dont le père était fonctionnaire.
Comme il avait pu faire des études, après la destruction d’une école par le FLN, un officier français lui demande de la rouvrir et de prendre en charge les élèves qui pour commencer n’étaient pas très nombreux.
Ses parents n’étaient pas engagés politiquement. Ils payaient l’impôt à la France comme au FLN. Mais lorsque son père qui avait combattu dans l’armée française applaudit un discours du général de Gaulle, il est repéré et est rapidement assassiné avec six autres membres de sa famille dans sa voiture qui s’enflamme.
Lorsqu’il a été appelé à faire son service militaire, en France ou en Allemagne, Messaoud ne voulait pas abandonner sa mère et ses frères qui avaient besoin de son soutien. Un officier lui a alors proposé de continuer à remplir son rôle d’instituteur, complété par celui de traducteur et de faire son service militaire en Algérie comme harki.
Après le cessez-le-feu, il fut arrêté une première fois et interrogé par le FLN mais rien ne fut retenu contre lui. En revanche le 5 juillet 1962 il fut à nouveau arrêté et subit une interrogation musclée, dont des tortures dont il porte encore les traces. Près du barrage de la frontière tunisienne il a accompagné de malheureux harkis en charge du déminage, sans plans et sans détecteurs. Ceux qui revenaient chaque soir étaient moins nombreux que ceux qui partaient le matin.
Enfin, grâce à sa mère et la complicité d’un officier de l’ALN il a pu s’évader vers la France et s’intégrer à la vie civile.

Et enfin vient le tour de Jacqueline Messaoudia Gozlan.

Jacqueline (Messaoudia : « la bienheureuse » en arabe) est née à Constantine en 1963. C’est une juive d’Algérie, descendante d’une famille installée dans cette région depuis plus de 2000 ans, avant la conquête arabe.
A Constantine où les Européens étaient assez peu nombreux, les juifs et les Arabes vivaient ensemble, avaient les mêmes costumes, la même langue et des coutumes très proches. Ils côtoyaient tous les jours les Arabes et les Berbères et entretenaient de bonnes relations…
En 1955, son père qui se rendait à son magasin de tailleur a été victime d’une bombe. Elle n’a jamais su s’il avait été personnellement visé. Sa mère était cuisinière. On lui disait pars en France, sinon ta fille sera violée. C’est donc en novembre 1961 qu’elle émigra en métropole. Elle trouva refuge en plusieurs endroits auprès de membres de sa famille dans des conditions extrêmement difficiles. Mais sa mère retrouva à nouveau un travail dans une clinique et Jacqueline a pu poursuivre des études à Paris.
Elle rappelle que le décret Crémieux de 1871 a fait des juifs des citoyens français mais que les musulmans d’Algérie sont restés exclus de ces droits étendus. Cela contribua à séparer les deux communautés. Sous le régime de Vichy le décret Crémieux a été aboli, les juifs ont dû porter l’étoile jaune et ils ont perdu leur statut de citoyen. Ils ne l’ont retrouvé qu’à la libération.
De sa période algérienne elle a peu de souvenirs. Un trou de mémoire traumatique s’est installé. C’est en embrassant une carrière de cinéaste tournée vers l’Algérie qu’elle a pu retrouver ses racines et la fierté de ses origines.

Exemples de questions posées :

– ?Monsieur Guerfi : Je suis gêné de vous poser cette question. Vous avez parlé de vos cicatrices : C’est où, cela s’est produit comment et pourquoi vous a-t-on torturé ?
– ?Lorsque l’OAS a abattu des Arabes, dans la rue, les victimes étaient-elles désignées où bien cela se pratiquait–il au hasard ?
– ?Depuis combien de temps allez-vous témoigner dans les établissements scolaires, et pourquoi le faites-vous ?
– ?Pour que des terres soient données aux colons comment s’y prenait-on pour les accaparer et ainsi spolier les Algériens ?
– ? Monsieur Guerfin : avec votre passé de harki pouvez-vous retourner en Algérie ?
– ?Monsieur Rezigat : comme militant du FLN avez-vous commis des exactions à l’encontre des Français ?

(1)Emmanuel Brenner. Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire. Mille et une nuits. Paris 2002

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