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« Je souhaite que les jeunes se battent pour la paix », une intervention scolaire à l’Institution Saint-Alyre de Clermont-Ferrand

lundi 22 avril 2024, par Gérard Martin

Comme chaque année, depuis maintenant huit années, la 4ACG est invitée à l’institution Saint-Alyre de Clermont-Ferrand, pour intervenir sur la guerre d’Algérie, devant les classes de terminale, par leur professeur d’histoire- géographie. Cette année encore, nous étions invités le jeudi 21 mars pour participer, sur une journée, à un « témoignage à 4 voix ». En voici le compte-rendu, rédigé par Paul Florian, un des élèves participants.
Le romancier Alexis Jenni et l’historien Sébastien Ledoux les accompagnaient.

Saint-Alyre. Alexis Jenni

La guerre d’Algérie et ses mémoires

par Paul Florian

Neuf ans… neuf ans déjà que ce projet est né au sein même de l’Institution Saint-Alyre à Clermont-Ferrand. Projet unique imaginé par le professeur d’histoire géographie, et de spécialité HGGSP (histoire géographie, géopolitique et science politique) Malek Rabia. Ce projet mène aujourd’hui à l’élaboration de journées comme celle du jeudi 21 mars 2024 autour de la mémoire de la Guerre d’Algérie, enrichissante sur le plan culturel comme sur le plan humain pour les élèves de l’institution. Véritable témoignage de l’histoire et de la mémoire, la journée commence pour les élèves avec la rencontre des différents témoins et intervenants.

Tout d’abord deux appelés du contingent, Jacques Folliguet, 87 ans, en Algérie de 1960 à 1962 ainsi que Gérard Martin, 86 ans, 14 mois en Algérie. Ces deux appelés tous les deux membres de l’association 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre) ont su capter l’attention et la curiosité des élèves par leur disponibilité et la richesse de leurs discours.

Gérard Martin explique être intégré à un régiment de parachutistes lors de son service militaire en Algérie. Il n’a pas connu réellement le combat, car lui et ses camarades assurent un rôle de troupe du génie et réparent les infrastructures endommagées. Il connait cependant la violence de la guerre à travers un accident d’hélicoptère mortel non loin de lui, particulièrement marquant.

Jacques Folliguet quant à lui appartient à un régiment d’artillerie à la frontière algéro-tunisienne. Il est pointeur sur un canon de 105 HM2 et chargé de surveiller les potentiels Fellaghas qui essayent de franchir la frontière pour se rendre en Algérie. Les mots employés par les deux hommes sont forts et significatifs, Jacques déclare : « Mon témoignage est celui d’un homme qui souhaite que les jeunes se battent pour la paix ».

Vient ensuite le témoignage de Esma Azzouz Gaudin, fille de Rabah Azzouz, combattant pour l’indépendance de l’Algérie. Esma explique que son père n’avait pas conscience de la différence de statut au sein de la société avec les « Français musulmans » qui disposent des mêmes devoirs mais pas des mêmes droits que les colons. Il a eu la chance d’aller à l’école, celle de Boufarik et d’avoir reçu une formation de menuisier chose rare pour l’époque en Algérie.
C’est lors de l’assassinat du maire de Boufarik par le FLN (Front de Libération Nationale) et la répression importante menée par les Français qui lui font prendre conscience du conflit. Il s’engage donc au sein du FLN, ou il est chargé de la logistique (approvisionnement de caches d’armes…). Arrêté, il fut envoyé à la prison de Constantine avant d’être 9 jours plus tard transporté dans un camp de travail. Il y passa 11 mois. Il rencontre dans ce camp de nombreux militants nationalistes. Lorsqu’il est libéré, il est directement envoyé au service militaire. Rabah devient rapidement instructeur physique étant donné son excellent niveau en sport. Il n’oublie pas cependant son engagement et reprend son engagement pour le FLN. Esma, sa fille, explique qu’aujourd’hui il n’exprime pas de rancœur. Il est par la suite devenu footballeur et policier.

Des camps de transit comme lieux d’accueil…

Au milieu de la matinée, les élèves font la connaissance de Saïd Merabti venu spécialement de Marseille pour témoigner aux élèves. Saïd est venu partager le point de vue des harkis dans ce conflit. Il commence son explication par une mise en contexte. Il évoque tout d’abord la situation de son village en Kabylie (haut lieu du soufisme), imprégné par la religion musulmane. Ils sont rapidement approchés par le FLN pour obtenir un soutien financier en raison de la venue de nombreux pèlerins qui apportent une participation financière importante.
Le FLN exerce une pression importante sur les villageois pour payer l’impôt de guerre ; plusieurs milliers voire millions de francs ; ou enrôler un des proches du village au sein de l’organisation. Le village demande donc le soutien et la protection de l’armée française. Les villageois dont le père de Saïd deviennent harkis au service de l’armée française. Leurs principales missions sont la surveillance des marchés, lieu où de nombreuses attaques du FLN sont menées, ainsi que le quadrillage des forêts. Saïd, explique ensuite aux élèves, attentifs et à l’écoute de chaque anecdote, l’arrivée des harkis en France à la suite de la guerre. Il explique la politique menée par le gouvernement français et l’oubli des harkis d’Algérie. Certains restés en Algérie après le cessez-le-feu sont tués. Pour ceux qui ont la chance de partir, ils sont d’abord regroupés dans des camps de transit avant de prendre le bateau jusqu’à Marseille. La crainte de rencontrer des partisans du FLN est importante à leur arrivée en France. Saïd prend ensuite le train pour Clermont-Ferrand avant de rejoindre le camp de Bourg-Lastic. Les conditions pour quitter le camp sont d’obtenir un logement et un travail. Saïd et sa famille réussissent à sortir du camp et rejoignent le nord de la France dans un petit appartement de 12 m2. Ils retournent ensuite à Marseille dans un logement de 35 m2 au sein d’un quartier populaire avec des immigrés algériens, avant d’obtenir un logement type HLM de 90 m2 dans un quartier à majorité européenne en 1971. En 1977, ne voulant pas être confronté à la délinquance, il quitte le quartier pour le centre-ville de Marseille. Il participe également au mouvement « j’y vis, j’y vote », pour favoriser le vote des habitants des quartiers populaires et revendiquent le droit de vote pour les étrangers qui constituent une part importante de la population marseillaise.

Le dernier témoin de cette journée est né dans le centre d’Alger en 1952, Michel Wilson est le descendant d’immigrés notamment alsaciens arrivés en 1836 sur le territoire algérien. Son nom à consonance anglophone attire l’attention des élèves. Michel explique donc l’origine de celui-ci : il provient de son grand-père américain venu en France pendant la première guerre mondiale. Michel vit dans un quartier européen d’Alger, ville dans laquelle sa famille s’est installée en 1921. Il ne connait pas beaucoup de mélange avec la population locale. À l’école, la classe est similaire à celle faite en France et là encore presque aucun mélange avec le reste de la population, l’arabe n’est même pas enseigné en classe. Les immigrés européens, « pieds-noirs », restent entre eux la plupart du temps. À Noël 1956, le père de Michel est rappelé au service militaire. La guerre parvient au sein d’Alger mais Michel se souvient des nombreuses explosions lors des attentats commis par le FLN. En 1957, la ville est plongée dans la terreur lors de la bataille d’Alger. En 1958 les nombreuses manifestations rappellent le Général De Gaulle au pouvoir. Michel explique aux élèves ses souvenirs du forum d’Alger, là où il allait avec ses parents écouter les grands discours au milieu de la foule. L’année 1961 est marqué par le « putsch des généraux » déclenché par l’OAS (Organisation Armée Secrète) qui défend l’Algérie française. En juillet 1962, Alger connait de nombreux morts, Michel rencontre même un cadavre dans le caniveau sur la route de l’école. Il termine son année scolaire à Toulouse en raison du cessez-le-feu. En octobre 1962, il retourne en Algérie et la quitte définitivement en 1965. Il est l’un des rares « pieds noirs » à être resté en Algérie après l’indépendance. En 1985, il retourne dans son quartier à Alger, le quartier est quasiment intact, rien n’a bougé. Il retrouve les mêmes odeurs que pendant son enfance lui rappelant de nombreux souvenirs, chargés en émotion.

Après ces échanges d’une richesse exceptionnelle pendant une grande partie de la matinée, le professeur Malek Rabia organise des ateliers d’échanges en groupes avec les différents témoins. La salle s’organise en petits groupes, les témoins évoluant chacun à travers ceux-ci et répondant aux différentes interrogations des élèves.

« La mémoire comme un devenir du passé »

La matinée se clôture par l’intervention magistrale de l’auteur Alexis Jenni autour de la question du lien entre la mémoire des conflits et le roman. M. Jenni, prix Goncourt 2011 pour son livre L’Art français de la guerre, explique aux élèves la complexité de son travail alliant imaginaire et informations réelles tirés d’archives. Ce roman remarquable est décrit par Le Figaro Magazine comme « un chef-d’œuvre que tous les Français devraient lire ». Les élèves captivés par le franc-parler et l’humour de M. Jenni, l’écoutent avec une grande attention. Selon, M. Jenni, « le roman permet de raconter quelque chose de compliqué d’une manière assez simple, en condensant de nombreuses informations tirées de différentes sources comme avec les témoignages ». Il évoque également son livre Féroce infirmes sur la thématique de la guerre d’Algérie. À la suite de son intervention, M. Jenni répond aux questions des élèves concernant généralement son métier d’écrivain.

L’après-midi, les élèves assistent à une présentation remarquable de M. Ledoux, historien français, spécialiste des enjeux de mémoire et maître de conférence à l’université de Picardie Jules Verne. Il évoque la mémoire et donc principalement celle de la guerre d’Algérie lors de cette intervention. M. Ledoux échange et questionne les élèves sur cette thématique. La mémoire fait également l’actualité et il déclare : « La mémoire comme un devenir du passé » en complément de la définition de Saint-Augustin « La mémoire comme un présent du passé ». Il propose également une périodisation des mémoires de la guerre d’Algérie : les années 1960-70 avec une production culturelle importante autour de la Guerre d’Algérie puis les années 1980-90, avec la dénonciation d’un oubli officiel de l’état ainsi que la présence de témoignages anonymes et enfin les années 2000-2010, avec la mémoire des descendants des acteurs de la guerre d’Algérie. M. Ledoux parle ensuite de la construction de la mémoire des appelés qui obtiennent la carte d’anciens combattants en 1974, sans oublier la construction de la mémoire des harkis, et des « pieds noirs ». Il termine son intervention avec la présentation des politiques narratives, l’histoire racontée par l’état et notamment l’attente de la reconnaissance du terme « guerre » concernant l’Algérie qui intervient seulement en 1999. Se poursuit un échange entre M. Ledoux et les élèves, répondant à leurs différentes interrogations concernant son intervention et ses travaux en cours. Il réalisera également une autre conférence en fin d’après-midi ouverte à tous au sein de l’Institution.

Cette journée commémorative a été un témoignage vivant de l’importance de se souvenir de la Guerre d’Algérie et de ses multiples facettes présentes dans le débat public. À travers les récits sincères des témoins, les élèves ont été plongés au cœur de cette période complexe de l’histoire. Chaque témoignage a apporté une dimension humaine et émotionnelle de l’expérience combattante en Algérie, enrichissant ainsi la compréhension de cet événement historique et de ces conséquences sur les individus et les sociétés.

La diversité des perspectives présentées lors de cette journée a offert aux élèves une opportunité rare d’explorer les différentes expériences et mémoires liées à la Guerre d’Algérie. De la rencontre avec les appelés du contingent à l’évocation des luttes et des sacrifices des harkis, en passant par les souvenirs des descendants d’immigrés, chaque récit a contribué à élargir l’horizon des élèves et à stimuler leur réflexion sur les enjeux de mémoire et d’identité.

Enfin, les interventions remarquables de l’écrivain Alexis Jenni et de Sébastien Ledoux ont permis aux élèves de prendre du recul et de réfléchir à la manière dont la mémoire collective se construit et évolue au fil du temps. Cette journée restera gravée dans les esprits comme une expérience précieuse d’enrichissement culturel et humain, offrant aux élèves les outils nécessaires pour comprendre et appréhender l’histoire complexe de la Guerre d’Algérie et ses répercussions jusqu’à nos jours.

Paul Florian, élève de terminale à l’Institution Saint-Alyre

L’institution privée catholique Saint-Alyre, au coeur de Clermont-Ferrand, accueille les élèves à l’école maternelle, à l’élémentaire, au collège, au lycée ainsi qu’en classe préparatoire et en BTS.

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