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Une rencontre originale : Ancien Appelé, Engagé volontaire, Réfractaires et Objecteurs (des années 1970…80) le 27 août 2013 dans le Calvados

mardi 17 décembre 2013, par Madeleine Binet

Nous avons la chance d’avoir dans notre groupe Normandie, un Réfractaire Jean Lagrave. Profitant qu’il rassemblait cet été chez lui, quelques membres 4ACG appelés et réfractaires, nous avons eu l’idée de leur proposer un échange avec deux copains Objecteurs dans les années 1970…80

C’est ainsi que 14 personnes (dont 3 réfractaires, 2 objecteurs, 1 appelé, 1 engagé volontaire) se sont retrouvées chez nous le soir du 27 août. Voici quelques impressions sur cette rencontre :

Aujourd’hui, qu’en est t-il de la notion d’objection de conscience ?
Le regard de Christian (Réfractaire) et Françoise Fiquet
Après son temps de service militaire en Allemagne à partir de sept 1959, Christian refuse d’aller combattre en Algérie. Fin 1960, il s’engage avec l’ACNV. Mi janvier 1961, il est arrêté puis transféré en Algérie à Tébessa. Il est jugé le 27 octobre, coupable de désertion et de refus d’obéissance : 3 ans de prison. Début 1962, il est rapatrié aux Baumettes puis transféré au camp de Mauzac et enfin libéré le 1er mars 1963.

D’abord souligner le plaisir que nous avons eu de rencontrer des objecteurs dont le témoignage montre que notre « race » n’est pas éteinte.

La discussion et les témoignages ont montré la diversité des réalités qui se cachent sous le terme « objecteur de conscience ». Pour ma part l’élément fédérateur est le terme « conscience » : conscience politique, religieuse, philosophique ou conscience tout court. Ce fut l’occasion de préciser les notions d’insoumis, de déserteur, de refus d’obéissance et de justifier notre terme générique de « réfractaires ».
Françoise a très bien expliqué l’apport essentiel de l’ACNV (Action Civique Non-Violente) quant à l’aspect positif et collectif de notre refus qui, au départ, n’était qu’une réaction individuelle. L’ACNV fut notre seul soutien effectif.

Nous avons abordé brièvement un thème de débat : après le vote du statut des objecteurs et son évolution, la suppression de la conscription et enfin la création d’un service civique volontaire, qu’en est t-il de la notion d’objection de conscience ? François Chouquet (1) en a parlé citant par exemple les refus des OGM, le soutien aux sans papiers, etc… J’ai soulevé la question d’un service civique obligatoire versus le service volontaire qui existe déjà et depuis longtemps sous la forme des ONG.

Dommage que le temps ait manqué pour approfondir tous ces sujets… Peut être à plus tard.

Qu’est-ce qui fait que des gens vont à contre-courant à un certain moment ?
Yves (Objecteur)

Au début des années 70, Pompidou a pris un décret (dit de Brégançon) obligeant les objecteurs à faire leur service civil à l’ONF (office national des forêts) avec interdiction de réunions syndicales et politiques, notamment. Une majorité d’objecteurs, dont Yves faisait partie, ont refusé cette affectation car elle ressemblait trop aux obligations faites aux soldats et se sont donc retrouvés insoumis au service civil risquant une peine d’un an de prison. Yves s’est trouvé en état d’insoumission au service civil au printemps 1973
Au début de l’année 1974, il est passé en procès au tribunal de Caen. Est survenue alors la mort de Pompidou, et l’élection de Giscard. Avec d’autres objecteurs, il sera amnistié.

Avant de vous rencontrer, je n’avais aucunement réfléchi au sens de cette soirée. J’y venais par curiosité et par amitié. L’objection de conscience (ou l’antimilitarisme ?) a été un moment important de ma vie mais assez bref. J’y pense peu et je n’en parle que très fortuitement. Mes enfants ne me posent aucune question et je n’ai jamais ressenti le besoin d’aborder le sujet avec eux.
Je suis passé à autre chose. Je me suis battu (englué ?) sur d’autres terrains avec d’autres gens. J’ai oublié.
A l’écoute de vos récits sur la guerre d’Algérie, ce sont des pans entiers de ma mémoire qui ont refait surface. La révolte algérienne à la maison d’arrêt de Caen où mes parents avaient un logement de fonction. La mitraillette que portait, par crainte d’attaques de l’OAS, le gardien qui nous ouvrait la porte de la prison chaque matin d’école. Les écrits de Lanza del Vasto sur les luttes non-violentes au moment de la guerre d’Algérie. Les débats que nous avions, les actions que nous menions, au sein du CLO (comité de lutte des objecteurs). Le procès pour insoumission au service civil.
Vos récits si émouvants, votre courage, vos combats parfois différents mais complémentaires, ont recadré historiquement ma propre démarche. Le combat des objecteurs des années 70-80 a été le fruit de votre combat, bien plus dangereux et minoritaire. Les droits dont nous avons bénéficié à partir de 1962 n’auraient existé que bien plus tard si vous n’aviez pas dit « non » pendant une guerre, si vous n’aviez pas été emprisonnés pendant plusieurs années et parfois au risque de votre vie.
Cette soirée a été intéressante car elle a permis de comparer ce qui avait motivé l’engagement de chacun à des époques et dans des situations personnelles différentes sur bien des points.
J’ai fait, refait, le constat que ces actes de refus étaient à chaque fois le fait d’une extrême minorité.
Je me suis demandé ensuite quelle aurait été mon attitude, ma capacité de discernement et d’engagement, pendant la guerre d’Algérie. Quel camp aurais-je choisi durant la seconde guerre mondiale ? Et aurais-je choisi un camp ? Aurais-je refusé la guerre en 14-18 comme l’avait déjà fait Louis Lecoin, ou deux autres anarchistes (Gaston Leval et Alphonse Barbé) que j’ai eu le bonheur de rencontrer ?
Qu’est-ce qui fait que des gens vont à contre-courant à un certain moment ? Et restent-ils à contre-courant toute leur vie et par rapport à quoi ?
Et comment le temps qui passe émousse-t-il cette énergie qui, à un moment, nous animait suffisamment pour affronter l’Etat et l’esprit de caserne ?
Si des garçons de 20 ans avaient assisté à notre rencontre chez Madeleine et Jean-Marie, qu’en auraient-ils pensé ? Aurions-nous été des dinosaures ou des anciens combattants à leurs yeux ? Qu’auraient signifié nos refus, nos combats ? Qu’auraient-ils dit de l’armée, de l’armement, de l’industrie militaire, des interventions militaires actuelles de l’armée française ?
Le service militaire n’existe plus et par conséquent l’antimilitarisme n’est plus d’actualité. Aucun mouvement d’objection de conscience ne s’est mis en branle lors des interventions en Lybie ou au Mali. Les prétextes humanitaires troublent la vision et justifient l’action coloniale, toujours d’actualité, de notre pays.
Les jeunes se battent sur d’autres terrains, avec d’autres moyens. Question d’époques et d’opportunités. Mais il est bon que les combats d’ aujourd’ hui puissent être comparés à ceux d’hier, qu’ il reste une trace, une mémoire.

Une soirée sous l’égide de la 4 ACG qui permet de faire entendre le refus du conformisme et la noblesse de l’humain.
Gérard Kihn (engagé volontaire à 18 ans dans les paras)
Gérard sera envoyé en Algérie dans le 3e RPIMA d’octobre 1957 à octobre 1959.

Des visages connus, enjoués, chaleureux. Des hommes, des femmes, heureux de se retrouver autour d’un pot. Des hommes âgés d’autres beaucoup plus jeunes. Des visages inconnus dont les yeux emplis de sympathie vous scrutent et vous accueillent.
Il ya ceux qui, résignés, pas tout à fait convaincus ont fait la guerre et l’ont détesté.
Et il y a les autres qui à 20 ans ont refusé de prendre les armes, la conscience mûrie par des convictions profondes, nourries par des rencontres avec les anticolonialistes, les esprits éclairés et la lecture de journaux courageux et critiques. Un refus payé lourdement par des années de prison et des ostracismes hargneux.
Il y a enfin les plus jeunes qui n’ont pas connu la guerre, à l’esprit bien éveillé et formé à l’ouverture au monde, digne successeur des précédents et devenus objecteurs de conscience affrontant les mêmes ostracismes.
Et puis il y aussi les femmes, nos compagnes révulsées par nos récits de guerre, enthousiastes à nos idées de paix, mères d’enfants qu’elles n’ont pas portées pour les voir mourir dans des guerres infâmes qui abaissent l’humanité. Courageuses toujours et l’espoir de l’humanité.
Une famille de pensée avec des parcours différents, réunie par la même conscience du refus des stupides conflits armés menés par notre pays. Rencontre de mondes si différents mais si proche par la pensée avec des échanges éclairants sur les sens des responsabilités perçus par chacun.
Des personnes nécessaires, indispensables à notre pays pour enrayer la bêtise des va t’en guerre. S’opposer à eux sans jamais rien lâcher, fermes dans nos convictions élaborées et étayées par l’esprit et l’intelligence.
Les uns et les autres nous ont expliqué et décrit les réflexions et le cheminement intellectuel qui les ont amenés à prendre leurs courageuses décisions. Toutes les conditions étaient remplies pour devenir réfractaire ou objecteur et pourtant si peu parmi les jeunes enrôlés malgré eux dans la guerre d’Algérie ont eu cette démarche. La réflexion viendra pour certains immédiatement au contact de la guerre et pour beaucoup, plus tard après un cheminement moral et s’être débarrassé des oripeaux patriotiques insoutenables

Et il y a moi, engagé à 18 ans dans les paras, pour fuir un présent médiocre et un avenir incertain peu enthousiasmant. Détaché de mes attaches, sans expérience politique ou syndicale à même d’éveiller un sens critique. Formaté depuis toujours comme des milliers de jeunes pour accepter l’inacceptable. Révulsé par la guerre et ses ignominies, en symbiose avec ces fortes personnalités et dépité de ne pas avoir eu à cette époque cette fulgurance propre à éclairer mon jugement et comme eux refuser au moment l’inacceptable.
Une soirée plus qu’intéressante. Eclairante par le fait qu’elle a suscité des propos que l’on entend peu et qui apportent des réflexions propre à les approfondir.
Merci à Madeleine et Jean-Marie.

Garder une mémoire de ces luttes
Jean-Marie Binet (appelé)
Jean-Marie a été appelé en Algérie de janvier 1958 à fin novembre 1959, dans les Transmissions à BOUIRA.
Nous avons remarqué combien les uns et les autres étaient heureux d’échanger leur parcours et intéressés par les différents points de vue.
Nous avons senti que cet échange était unique en son genre.
Les réfractaires étaient sensibles au fait que d’autres générations aient repris le flambeau
Nous avons découvert qu’il existait plusieurs types d’objection :

Ceux qui étaient pacifistes et donc contre la violence, contre toute guerre
Ceux qui étaient contre un certain type de guerre (ex : les guerres coloniales)

Il se dégageait comme conclusion que la guerre n’est jamais une solution, elle entraîne plus de malheurs et de difficultés que de solutions réelles.
Il semblait aussi se dégager l’importance de garder une mémoire de ces luttes.

Madeleine et Jean-Marie Binet

Décembre 2013

(1) Réalisateur dont un film sur les réfractaires intitulé « Comme un seul homme »

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