Accueil > Vie de l’association > Jacques Carbonnel nous a quittés le 4 mars

Jacques Carbonnel nous a quittés le 4 mars

mercredi 13 mars 2019, par Gérard C. Webmestre , Michel Berthelemy

Jacques Carbonnel, à Agen, lors de la remise du prix le Jasmin d’Argent 2018. Clic image zoom

Jacques Carbonnel nous a quittés le 4 mars, à 87 ans. Depuis la première assemblée générale, à Albi en 2004, il est resté fidèle à la 4ACG. Ses 18 mois en Algérie ont été émaillés de quelques démêlés avec la hiérarchie. Fils de paysan, ancien rugbyman et professeur d’EPS, il a consacré ses dernières années à la langue occitane. En 2017, il a publié un recueil de poèmes qui lui a valu la récompense suprême de la littérature occitane : prix "Jasmin d’Argent" académie 2017 et "Jasmin d’Argent" ville d’Agen 2018. La guerre d’Algérie lui a inspiré un texte que nous publions ici, d’abord en Occitan, puis dans une traduction française de Georges Garié.
Merci à son épouse et à ses enfants qui nous ont permis, par l’intermédiaire de Gérard Kihn, de rendre hommage à notre ami. Nous les assurons de notre plus vive sympathie.

La guerra de ma vida

Al sègle passat los òmes avian fait totis al mens una guerra.
Papeta fasquèt la de 14,mon paire la de 40
e la meuna guèrra sosquèt la guerra d’Argeria.
M’envièran guerrejar pendent 17 meses
dins un regiment de paracasudistas
ont m’èri trapat a Tolosa per astre,
perdéqué èri professor de gimnastica al licèu de Caurs
e jogavi al rubi.
Anavem ont i avià agut de tamponadas,un escaufèstre,
ont s’èran engafetats los soldats francès
e los fellaghas, que voliàn l’independencia de lor pais.
M’èran puslèu simpatics,compreniai çò que demandavan,
èra simple : « Ara n’i a pron,vos cal partir e nos daissar aquèl pais
que nos avetz panat per la fòça militari i a 130 ans. »
Fasiai quand même atencion de pas me faire prene per èlis.
Mai d’una causa me fasian soscar a l’epòca :
 cossi se podià faire que tant d’òmes posquèssan obesir
als òrdres d’aquèlis oficièrs e adjudants que nos fasian asegutar
totis los qu’i semblavan suspiçons ?
Pas un qu’esperonejava,acceptavem,mai o mens,
d’estre somès a n’aquèla règla de la guerra.
Es la violència institucionala.
Es l’enigma de la servitud volontàriapausada per La Boétie en 1546. Es pas un problèma novèl .
Era dificil de s’opausar.
Los companhs cresian o preferavan creire qu’èrem dins nostre dreit.
 una autra causa m’estonava.
Aquèla guerra,per los paracasudistas,se transformava en jòc.
Era un grand jòc de perseguida,èrem totis acorsaires o perseguits.
Jogavem al pus fin,al pus fort,al pus finaudèl,al pus degordit,
a lo que faria paur a l’autre.
 tot lo monde mentissian,mandavem de messorgas per la radiò
ont disiem qu’aviem tuat de fugidors qu’èran estacats.
Aimavi pas tot aquò que sentissia,al dessus dal chaple,
l’asirança e lo mesprètz.
 çò que m’a lo pus tresvirat es la tòrtura.
Es insofrible. Cossi podem arrivar a n’aquèlas causas
que nos fan cabussar dins la barbarià ?
Sosquèt,per ieu,pus dificil a suportar que la mòrt.
N’i a que nos demandan encara perdéqué avem daissat faire tot aquò.
Los responsables son los politics que nos an enviats aval
e que savian tot çò que se passava.
Los militaris an pas totas las responsabilitats
mas n’an profitat quand agèran los plens poders .
Sem demorats de temps sens parlar
Erem pas fièrs de çò qu’aviem fait,
de çò que nos an fait faire.
Dins las guerras cal pas jamai confondre
lo pòble,los soldats e los dirigents politics.
E uèi ai torna trapat la paraula,l’enveja de parlar,
de dire çò qu’avèm fait,çò qu’avem vist,
tot çò que nos demòra d’aquèles moments
ont avem encontrat la mòrt,la tòrtura,la paur,
la traïson,la solidaritat,la coardisa,per de bon,sul camp.
Avem vist çò que pòdan faire los òmes
quand son cunhats dins de situacions que los despassan.
Cal pas mai de guerras sus aquèla terra.
N’i a un que disià « qu’una conarià la guerra. »
Jaume Carbonèl
Setembre de 2013
 

Traduction de Georges Garié :

La guerre de ma vie

Au siècle passé les hommes avaient tous fait au moins une guerre
Pépé fit celle de 14, mon père celle de 40
Et ma guerre fut celle d’Algérie
On m’envoya guerroyer pendant 17 mois
Dans un régiment de parachutistes
Il était prévu que je reste à Toulouse
Car j’étais professeur d’éducation physique au lycée de Cahors
Et je jouais au rugby
 Il y avait déjà eu des combats, une embuscade
Où des soldats français avaient été accrochés
Et les fellaghas qui voulaient l’indépendance et la paix
M’étaient plutôt sympathiques, je comprenais ce qu’ils demandaient
C’était simple : « Maintenant, ça suffit, vous devez partir et nous laisser ce pays
Que vous avez volé par la force des armes il y a 130 ans »
Il fallait quand même faire attention de ne pas se faire prendre par eux.
Mais une chose m’interpellait à l’époque
Comment tant d’hommes pouvaient-il obéir
Aux ordres de ces officiers et adjudants qui nous faisait interpeller
Tous ceux qui nous semblaient suspects
Aucun ne discutait mais au moins ils acceptaient
D’être soumis à cette loi de la guerre
Qu’est la violence institutionnelle
Qu’est l’énigme de la servitude consentie
Evoquée par La Boétie en 1546.Ce n’est pas un problème nouveau
Il est difficile de s’opposer
Les copains croyaient ou préféraient croire que nous étions dans notre droit.
Une autre chose m’étonnait
Cette guerre pour les parachutistes se transformait en jeu
C’était un grand jeu de poursuite, nous étions tous chasseurs ou chassés
On jouait au plus fin, au plus fort, au plus malin, au plus dégourdi
A celui qui fera peur à l’autre
Tout le monde mentait, lançait des messages par radio
Où l’on disait avoir tué un prisonnier qui s’échappait
Je n’aimais pas tout ça qui sentait en plus de la tuerie
La haine et le mépris
Ce qui m’a le plus troublé c’est la torture
C’est insupportable. Comment peut-on en arriver à de telles choses
Qui nous font tomber dans la barbarie
Ce qui pour moi est plus difficile à supporter que la mort.
Il y en a qui nous demandent encore pourquoi on a laissé faire tout ça
Les responsables sont ceux qui nous ont envoyé là bas
Et qui savaient tout ce qui se passait
Les militaires n’ont pas toutes les responsabilités
Mais ils en ont profité quand ils eurent les pleins pouvoirs
Nous sommes restés un temps sans parler
Nous n’étions pas fiers de ce que nous avions fait
De ce que l’on nous a fait faire
Dans la guerre il ne faut jamais confondre
Le peuple, les soldats, les dirigeants politiques
Et aujourd’hui j’ai retrouvé la parole et l’envie de parler
De dire ce que nous avons fait ce que nous avons vu
Tout ce qui nous reste de ces moments
Où nous avons rencontré la mort, la torture, la peur
La trahison, la solidarité, la couardise, pour de bon sur place
Nous avons vu ce que peuvent faire les hommes
Quand ils sont confrontés à des situations qui les dépassent
Il ne faut plus de guerre sur cette terre
Quelqu’un a dit : « Quelle connerie la guerre »
Jacques Carbonnel

Jacques Carbonnel. Occitan : poèmes autobiographiques et ethnologiques
http://mespoemesoccitans.monsite-orange.fr/index.html

12 mars 2019 : Hommage à Jacques Carbonel
http://www.ramonville-accueil.com/Activites/occitan/2018-19/00.php

La séquence de remise du prix Jasmin 2018
http://www.ramonville-accueil.com/Activites/occitan/2018-19/2019-03-12/carbonel.wmv

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.