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Lettre ouverte au président de la République sur l’Affaire Maurice Audin
mercredi 14 mars 2018, par , ,
Lettre ouverte au président de la République française.
Des Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre.
Le 26 février 2018
Monsieur le Président,
L’affaire Audin vient de rebondir, et avec elle, la question des crimes d’État pendant la colonisation et la guerre d’Algérie.
Quand vous avez rencontré la famille de Maurice Audin après votre élection, vous avez fait part de votre intime conviction que Maurice Audin avait été assassiné par l’armée française. Et dans un point de presse le 13 février vous avez exprimé au sujet de l’expertise et de la recherche de la vérité : « Toutes les pièces seront ouvertes y compris celles qui ne l’ont pas été depuis l’ouverture des archives en 2014 par François Hollande ». Précisant que : « pour reconnaître un crime d’État il ne serait pas raisonnable de le faire sans en avoir les preuves formelles ».Vous avez ajouté « Nous allons mettre tous les moyens en notre pouvoir pour l’établir » . Et c’est cela qui nous donne le ferme espoir que la vérité, qui frappe aujourd’hui à la porte, soit enfin connue.
Nous nous sentons solidaires de cet ancien appelé qui vient d’avoir le courage de parler, avec une précision si troublante : il a enterré sur ordre à 30 kilomètres d’Alger, deux cadavres, dont l’un désigné « important ». L’escamotage du cadavre que relate le témoin était grotesque et honteux. Il n’était pas unique ! Des camarades parmi nous (et nous tous par procuration...) ne connaissons que trop bien le scénario de la « corvée de bois ». Ce nouveau témoignage renforce pour tout le monde la conviction de l’assassinat de Maurice Audin. Cela n’est certes pas une preuve au sens juridique du terme. Mais c’est une source précise, convaincante, et convergente avec les précédentes.
Nous nous associons donc à la demande de reconnaissance réclamée par Josette Audin, sa famille et deux parlementaires. Réparons maintenant cette disparition du corps, dont souffre la famille depuis si longtemps.
Nous sommes même prêts à collaborer avec une éventuelle commission d’enquête parlementaire s’il le fallait, à une condition : qu’elle soit élargie à tous les faits de disparition de même nature
Et nous rappelons à cette occasion tous les crimes d’État en rapport de près ou de loin avec celui-ci, comme les massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma, et Kherrata, le 17 octobre 1961 à Paris, et le 8 février 1962 au métro Charonne.
Nous qui, à 20 ans, avons subi le traumatisme à vie, d’une guerre innommable avec ses massacres et ses tortures, nous avons, au moment de créer cette association, décidé de parler. Nous avons toujours incité les anciens appelés à parler pour se libérer de ce poids ; plus encore aujourd’hui alors que nous arrivons au bout de notre vie.
Quand on nous proposa une pension d’ancien combattant, nous l’avons refusée pour nous et convertie en actions pacifiques avec des associations diverses, pour ouvrir enfin une relation plus fraternelle avec nos voisins méditerranéens. Aujourd’hui, avec le temps (déjà presque 60 ans !), peu à peu, la parole se libère. Maintenant on en sait davantage !
Il n’est certes pas facile à un peuple de prendre acte des pages sombres (anciennes ou récentes) de son Histoire, pour construire un autre avenir. Mais la France continue de ne pas vouloir regarder la vérité en face. Et cela nous paraît malsain, surtout dans le climat actuel.
En octobre dernier, dans une lettre restée sans réponse, nous avions au-delà des positions partisanes, salué votre courage d’avoir exprimé votre position personnelle sur le sujet en pleine campagne électorale. Vos deux prédécesseurs avaient ouvert la voie, mais vous êtes allé plus loin. Vous avez parlé, Monsieur le Président, fidèle au devoir de mémoire, selon votre maître, le philosophe Paul Ricœur. Cela vous engage et nous vous en remercions.
Épargnez à la France, Monsieur le Président de la République, que ce camouflage d’un moment de barbarie se prolonge, et engagez le dialogue. Pourquoi, dans cette voie, la France n’a-t-elle pas encore ouvert avec l’Algérie, (sur le modèle de celui réalisé avec l’Allemagne), un office franco-algérien de la jeunesse ? Nous voulons contribuer à construire un avenir de fraternité entre la France et l’Algérie.
Nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de nos salutations respectueuses.
Alain Desjardin. Président de la 4ACG
René Moreau. Secrétaire