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Contre les statues, les traces-mémoires
samedi 27 juin 2020, par
Faut-il déboulonner les statues à la gloire d’anciens colonialistes et esclavagistes ? Certains protagonistes du débat, plutôt que de les supprimer, préféreraient apposer sur les statues ou les noms de rues, des plaques explicatives qui feraient œuvre d’histoire. C’est le cas notamment de l’historien Pascal Blanchard. L’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, de son côté, les verraient bien remplacées par des « traces-mémoires ».
Par Patrick Chamoiseau (Extrait de « Traces-mémoires du bagne », Editions CNMHS, 1993)
Nos monuments demeurent comme des douleurs.
Ils témoignent de douleurs.
Ils conservent des douleurs.
Ce sont le plus souvent des édifices produits par la trajectoire coloniale : forts, églises, chapelles, moulins, cachots, bâtiments d’exploitation de l’activité esclavagiste sucrière, structures d’implantation militaire… Les statues et les plaques de marbre célèbrent découvreurs et conquistadores, gouverneurs et grands administrateurs. En Guyane, comme aux Antilles, ces édifices ne suscitent pas d’écho affectif particulier ; s’ils témoignent des colons européens, ils ne témoignent pas des autres populations (Amérindiennes, esclaves africains, immigrants hindous, syro-libanais, chinois…) qui, précipitées sur ces terres coloniales, ont dû trouver moyen, d’abord de survivre, puis de vivre ensemble, jusqu’à produire une entité culturelle et identitaire originale.
« La parole ne fait pas l’Histoire »
La trajectoire de ces peuples-là s’est faite silencieuse. Non répertoriée par la Chronique coloniale, elle s’est déployée dans ses arts, ses résistances, ses héroïsmes, sans stèles, sans statues, sans monuments, sans documents. Seule la parole des Anciens, qui circule dessous l’écriture – la mémoire orale – en témoigne.
Or la parole ne fait pas monument.
La parole ne fait pas l’Histoire.
La parole ne fait pas la Mémoire.
La parole transmet des histoires
La parole diffuse des mémoires.
La parole témoigne en traces, en réminiscences, en souvenirs protéiformes où l’imagination mène commerce avec le sentiment.
Et avec l’émotion
C’est pourquoi l’on dit, très souvent, que dans les Amériques, les monuments (et l’histoire avec un grand H) témoignent des colons, de la force dominante, de l’acte colonial avec ce que cela suppose comme génocides, asservissements et attentats contre l’Autre. L’Histoire, la Mémoire et le Monument magnifient, ou exaltent (du haut de leur majuscule), le crime que la Chronique coloniale a légitimé (…/…)
La trace-mémoires est vivante, le monument est une cristallisation morte
Les peuples créoles américains ont donc cette lancinance de leurs mémoires asphyxiées, de leurs histoires souterraines ; et quand ils se tournent vers les Monuments qui balisent leurs espaces, ils ne s’y retrouvent pas, où alors, vénérant ces édifices, ils s’aliènent à la Mémoire et à l’Histoire édictées par la colonisation.
La Trace-mémoires, n’est envisageable ni par un monument, ni par des stèles, ni par des statues, ni par le document-culte de nos anciens historiens.
La Trace-mémoires est un frisson de vie alors que le monument ou la statue est une cristallisation morte. Elle fait présence quand le monument s’érige.
La Trace-mémoires est à la fois collective et individuelle, verticale ou horizontale, de communauté et trans-communautaire, immuable et mobile, et fragile. Alors que le monument témoigne toujours d’une force mémorielle dominante enracinée – et verticale.
Messages
1. Contre les statues : l’ histoire vraie ! , 30 juin 2020, 15:18, par Jean Paul MAÏS
Des plaques explicatives faisant acte d’ histoire ? J’ en suis partisan, à condition bien sûr, que ces explications ne reprennent pas les discours colonialistes ! En s’ inspirant par exemple d’ un excellent petit livre qui vient de paraître aux Editions SYLLEPSE : « Guide du BORDEAUX colonial ». J’ ai moi-même vécu mes 23 premières années à BORDEAUX sans qu’ aucun prof d’ histoire n’ aborde le côté noir des CHARTRONS, de THIERS, BRAZZA, BUGEAUD, NIEL, MAREILHAC, MAUREL, PROM …
2. Contre les statues, les traces-mémoires , 14 juillet 2020, 15:52, par Lagier Georges
La statue de Joséphine de Beauharnais trône sur la place de la Savane à Fort de France
Les Martiniquais lui ont coupé la tête qui git à ses pieds et ont recouvert le cou de peinture rouge
Voilà quelque chose qui est beaucoup plus significatif que de faire disparaître cette statue
Par ce geste les Martiniquais rappellent la honte du rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802
Ce geste rappelle la communauté de lutte contre l’esclavage puisqu’à quelques miles l’île Haïti a été la première République noirel