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Honorer le colonel Bigeard, c’est honorer la torture coloniale

mercredi 13 mars 2024, par Gérard C. Webmestre , Michel Berthelemy

Par Fabrice Riceputi et Alain Ruscio.

Mediapart - billet de blog histoirecoloniale.net - 10 mars 2024

À l’heure où l’on cesse enfin d’honorer dans l’espace public la mémoire du maréchal Bugeaud, bourreau du peuple algérien, comment peut-on projeter d’ériger une statue au parachutiste Marcel Bigeard, comme c’est le cas à Toul ? C’est envisager de glorifier ainsi la pratique de la torture en Indochine et en Algérie.

Toul : honorer le colonel Bigeard et la torture coloniale ?

A l’heure où à Marseille et à Paris on retire enfin de l’espace public les plaques honorant la mémoire du Maréchal Bugeaud, bourreau du peuple algérien durant la conquête coloniale, peut-on ériger une statue au parachutiste Marcel Bigeard, comme on le projette à Toul, et comme cela a été réalisé à Carcassonne en 2012 ? En d’autres termes, la République française tolère-t-elle qu’on honore à travers lui la torture coloniale, alors même que vient d’être lancé à nouveau un Appel à enfin la reconnaître et à la condamner ?

Sous l’ère Sarkozy, un projet de transfert des cendres de Bigeard (1916-2010) aux Invalides avait soulevé de telles protestations, dont celle de Mme Simone de Bollardière, veuve du général qui protesta contre la torture, que le gouvernement dut y renoncer. Rappelons quelles méthodes de terreur l’officier parachutiste Marcel Bigeard commanda en effet durant les guerres coloniales françaises pour empêcher l’indépendance de l’Indochine puis de l’Algérie.

C’est son action durant la « bataille d’Alger » qui est la mieux documentée. Il existe dans les archives françaises un "fichier des arrestations" opérées à Alger en février-mars et avril 1957.
Les régiments de la 10e Division Parachutiste, commandés par le général Massu, y indiquèrent les noms, dates d’arrestation et situation du détenu au moment de la constitution du fichier. Celui qui déclara le plus grand nombre de détenus « abattus lors d’une tentative de fuite » ou encore de « suicides », voire simplement de « DCD », est celui que commandait Marcel Bigeard (voir le site 1000autres.org). Tous ceux qui ont étudié cette guerre savent ce que dissimulaient ces mentions : des morts sous la torture ou des exécutions sommaires, dont des milliers d’Algériennes et d’Algériens furent victimes en 1957, et bien plus encore par la suite.

De fait, le nom de Bigeard est aujourd’hui encore à Alger synonyme de terreur. Nombre de proches et descendants de disparus de la « bataille d’Alger » témoignent de ce que leur parent a été enlevé, le plus souvent la nuit, détenu au secret, souvent torturé par ceux qu’ils nomment « des Bigeards », les « bérets rouges » du 3e RPC dirigé par Marcel Bigeard.

Le secrétaire général à la police de la Préfecture d’Alger Paul Teitgen, qui dénonça les méthodes de l’armée comme identiques à celles qu’il avait subies lui-même entre les mains de la Gestapo, fit quant à lui connaître l’expression « crevettes-Bigeard » en usage à Alger en 1957. Elle désignait ces « suspects » qui étaient jetés dans la mer, lestés, depuis des hélicoptères et qui étaient parfois découverts sur les plages.

Marcel Bigeard est aussi l’auteur d’un Manuel de contre-guérilla, paru en 1957 à Alger, qui justifie et prône l’emploi de la torture. L’usage de celle-ci fut bel et bien enseigné à certains officiers au camp Jeanne-d’Arc de Philippeville (Skikda), dans un centre de formation à la guerre « anti-subversive » surnommé « école Bigeardville » car il le dirigeait. Dans Les Crimes de l’armée française, l’historien Pierre Vidal-Naquet citait un article publié le 18 décembre 1958 dans Témoignage chrétien, où le journaliste Robert Barrat rapporte le témoignage d’un officier, ancien stagiaire de ce centre :

« Comment n’y aurait-pas complicité de l’ensemble de la hiérarchie quand, dans une école comme celle de Jeanne-d’Arc, on nous expliquait, pendant le cours sur le renseignement, qu’il y avait une torture humaine. (…) Le capitaine L. nous a donné cinq points que j’ai là, de façon précise, avec les objections et les réponses : 1) il faut que la torture soit propre ; 2) qu’elle ne se fasse pas en présence de jeunes ; 3) qu’elle ne se fasse pas en présence de sadiques ; 4) qu’elle soit faite par un officier ou par quelqu’un de responsable ; 5) surtout qu’elle soit "humaine", c’est-à-dire qu’elle cesse dès que le type a parlé et qu’elle ne laisse pas de trace. Moyennant quoi - conclusion - vous aviez droit à l’eau et à l’électricité. »

Si, sur le tard, le général Massu lui-même exprima des regrets pour avoir commandé et couvert la torture, tel ne fut jamais le cas de Bigeard. Comme Jean-Marie Le Pen et bien d’autres tortionnaires, tout en faisant l’apologie de la torture et de sa prétendue efficacité « antiterroriste », il nia toujours, contre l’évidence, l’avoir lui-même commandée ou pratiquée. Par exemple, lorsqu’en 2000 Louisette Ighilahriz le mit en cause, de même que Massu, comme témoin de son supplice, tout ce qu’il trouva à faire c’est injurier cette femme et menacer le journal Le Monde qui rapportait ses accusations : « je peux encore mordre », déclara-t-il.

Indiquons pour finir que nous tenons pour fort significatif du contexte politique de ce projet d’érection de sa statue à Toul le fait que le sculpteur auteur du bronze à la gloire de Marcel Bigeard, Boris Lejeune, ait eu les honneurs de Radio Courtoisie et d’un media zemmouriste et soit lui-même contributeur à la revue catholique intégriste Catholica.

Une conférence-débat sur Marcel Bigeard et la guerre d’Algérie aura lieu mardi 26 mars à Toul, à 19h30, salle des adjudications, 13 rue de Rigny, avec Fabrice Riceputi et Alain Ruscio

Source :

https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/100324/honorer-le-colonel-bigeard-cest-honorer-la-torture-coloniale

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