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« L’orgueil, l’aveuglement des Européens d’ici est insensé... Il n’y a rien à attendre d’eux, rien ! » : Jean Sénac, ou l’impossible intégration.

jeudi 9 juillet 2015, par Michel Berthelemy

Poète et écrivain, ami de Camus et de Jean Amrouche, Jean Sénac est né en Oranie. Choqué par les événements de mai 45, il va prendre fait et cause pour l’indépendance algérienne et s’engager aux côtés du FLN.

.Voici un extrait de ses Carnets inédits.

4 novembre 1954

Au quartier, Pierre et Carlos me demandent des conseils. P. me lit une déclaration où lui et 20 autres jeunes gens français et étrangers s’engagent à se mettre « totalement au service des terroristes nord-africains pour donner un sens à leur vie et hâter la libération des peuples ».
Très beau, mais je crains leur romantisme. Toutefois, ces « ratés », ces pauvres types, peuvent être des héros. Il s’agirait qu’ils donnent à leur engagement (création d’une sorte de brigade internationale) une pureté qui le valorise (vie pour vie et ne frapper que les « têtes » - respecter la vie des « autres » - ne pas tomber dans le « racisme à rebours », etc...). Tout cela très grave.
Les revois demain. En parlerai à Camus. Grand trouble. Et tant à faire. Et moi dans tout cela ? L’heure a-t-elle sonné de vivre pour ma patrie charnelle ? Et de mourir ? J’ai peur du lyrisme.

15 décembre 1954

Et je suis ici immobile, complice et lâche. J’ai honte, honte... Partir pour l’Aurès ? Ecrire ? Mourir ? Tuer ? Aller au Caire ? Témoigner à Alger ? Agir à Paris ?
Gagner beaucoup d’argent, me faire un nom et mettre ma fortune et ma gloire au service de mon peuple. Devenir, briller, prendre du poids afin de peser un jour dans la balance, de compter, de servir vraiment.
Que l’Homme en moi se fasse, pour ma Patrie algérienne.

Mardi 15 décembre 1954, 21h

Que faire ? Et comment donner aux Algériens arabes qui nous rejettent en bloc (dans 99% des cas) la preuve que nous les aimons, que nous nous sentons algériens, leurs égaux ? Seule la mort... Des sacrifices vrais peut-être... Ecrire, mais quoi ? Je suis entre deux feux, deux vérités, l’une à dire, l’autre à taire. Et c’est bien la seule vérité qu’il faut.
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Dernier écrivain français resté en Algérie il deviendra, après 1962, conseiller du ministre de l’Education nationale, mais à la suite du coup d’état de Boumediène, il sera écarté à partir de 1965 par le pouvoir et sera assassiné en août 1973.
Il est l’auteur notamment d’une Anthologie de la nouvelle poésie algérienne, aux éditions Saint-Germain-des-Prés, en 1971.

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