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De “La Guerre sans nom” aux “Harkis”, le regard tardif mais franc du cinéma sur la guerre d’Algérie

lundi 17 octobre 2022, par Michel Berthelemy

Du silence à la représentation... Le conflit, longtemps tu par la censure, a mis quelques années avant de se faire une place sur grand écran. Retour sur plusieurs films qui se sont emparés du sujet.

par Pierre Murat, Télérama, 15 octobre 2022

On la tait ou on la minimise. Durant huit ans, de 1954 à 1962, on ne parle pas, d’ailleurs, de « guerre d’Algérie » (l’expression ne sera officiellement adoptée par l‘Assemblée nationale, puis par le Sénat, que le 18 octobre 1999). Mais d’« événements » ou d’« opérations de maintien de l’ordre ». Les cinéastes qui se risquent à évoquer ce non-conflit se font, le plus souvent, interdire. Parce qu’il évoque un déserteur réfugié en Suisse qui travaille pour l’OAS, Jean-Luc Godard est censuré par Louis Terrenoire, le ministre de l’Information de l’époque. « Les paroles prêtées à une protagoniste [Anna Karina] du film et par lesquelles l’action de la France en Algérie est présentée comme dépourvue d’idéal, alors que la cause de la rébellion est défendue et exaltée, constituent à elles seules, dans les circonstances actuelles, un motif d’interdiction. » Le Petit Soldat, tourné tout de suite après À bout de souffle, en 1960, ne sort qu’en janvier 1963.
Ce n’est donc que par bribes, par allusions que, au cinéma, on évoque l’Algérie. La légèreté, l’euphorie d’Adieu Philippine, de Jacques Rozier (1962), s’effacent soudain lorsque le héros, un frimeur charmeur (Jean-Claude Aimini), part, à la fin de l’été, pour un service militaire dont il ne reviendra probablement pas. Dans Les Parapluies de Cherbourg (1963), Guy (Nino Castelnuovo), déjà en Algérie, lui, écrit une lettre à sa fiancée, Geneviève (Catherine Deneuve). Il la chante, puisqu’on chante toujours chez Jacques Demy, même quand c’est grave : « Hier soir, une patrouille est tombée dans une embuscade. Les trois soldats sont morts. Je ne crois pas, pourtant, que le danger, ici, soit grand. Mais c’est étrange : le soleil et la mort voyagent ensemble »… Et dans Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda (1962), le soldat en permission (Antoine Bourseiller) confie à celle qui redoute tant de mourir : « Donner sa vie pour une guerre, c’est nul. J’aurais préféré mourir d’amour »…
Bien plus tard, un documentaire au titre éloquent résumera cette longue période de silence et d’oubli.

La Guerre sans nom, de Bertrand Tavernier et Patrick Rotman (1992)
« On voulait aborder cette guerre différemment. Sans archives ni documents, en donnant la parole à des gens rarement interrogés jusqu’alors, a dit Bertrand Tavernier. On souhaitait entendre aussi bien un militant communiste ayant passé deux ans au trou pour insubordination qu’un lieutenant “Algérie française” expliquant comment l’État français a envoyé à la mort les harkis qui avaient combattu à ses côtés. » Point commun entre ces témoins meurtris, abîmés : « Une colère rentrée contre les politiques : les socialistes qui les avaient envoyé se battre, les gaullistes qui les avaient trahis »… Moment terrible où un appelé de la Jeunesse ouvrière chrétienne s’effondre en évoquant l’exécution d’un jeune Algérien, alors que le responsable d’un commando de chasse, tout en les regrettant, justifie des tortures ayant permis de sauver des dizaines de vies…

R.A.S., d’Yves Boisset (1973)
C’est dans les années 1970 que l’étau se desserre – un peu. Même s’il provoque la polémique, René Vautier réussit, en 1972, à faire sortir Avoir 20 ans dans les Aurès. Quelques mois plus tard, un autre pamphlet connaît un triomphe inattendu : près de quatre millions d’entrées en France…
Personne, au départ, ne veut financer R.A.S. : ni la France, ni l’Algérie. Seul accepte un jeune producteur tunisien, Tarak Ben Ammar (neveu du président Bourguiba…). Lorsque le film sort, une bombe explose dans le cinéma Normandie, sur les Champs-Élysées. Quelques départements – dans le Midi, surtout – en profitent pour le déprogrammer, arguant de futurs troubles à l’ordre public… Aujourd’hui, sourit Yves Boisset, R.A.S. est célébré par la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie… Comme à son habitude, le cinéaste s’attache au sort d’un idéaliste. Deux, en l’occurrence, qu’incarnent Jacques Spiesser et Jacques Weber, tout jeunots, tout fragiles. L’un comme l’autre sont réfractaires au mensonge d’État, à la force brute et vont s’y opposer.
Le personnage le plus fascinant du film, et le plus dangereux, n’intervient que dans la deuxième partie. Le commandant Lecoq (Philippe Leroy) est un stratège, un psychologue, un manipulateur. Il croit – il sait : sans doute est-il passé par là – qu’un appelé amené à tuer pour la première fois recommencera. Qu’un soldat qui aura toléré la première torture acceptera toutes les autres… Alors il s’emploie à faire franchir à ses hommes ce point de non-retour… C’est le Mal au travail.

La Trahison et Les Harkis, de Philippe Faucon (2005 et 2022)
Aujourd’hui, l’Algérie hante toujours les esprits : Des hommes  (2021), de Lucas Belvaux, d’après Laurent Mauvignier, a continué d’en rappeler les blessures inguérissables. Tandis que, dans Qu’un sang impur…  (2019), Abdel Raouf Dafri aura transformé le conflit en épopée apocalyptique où un ancien d’Indochine perturbé (Johan Heldenbergh) se retrouvait missionné dans les Aurès pour retrouver la trace d’un colonel (Olivier Gourmet), double du Marlon Brando d’Apocalypse Now
Loin de tout spectaculaire, lui, et par deux fois, donc, Philippe Faucon a fait de cette guerre une épure tragique. Dans La Trahison (2005), il peignait la stupéfaction d’un lieutenant français (Vincent Martinez) prenant lentement conscience qu’un de ses hommes – Français « de souche nord-africaine », comme on disait – projetait son assassinat. Soudain, la fatalité devenait, comme dans une tragédie de Racine, un personnage qui semblait mener inéluctablement les uns à l’oppression, les autres à la résistance.
La fatalité pèse encore plus sur son nouveau film, Les Harkis (en salles depuis le 12 octobre). « Une histoire d’hommes pris dans la guerre, a commenté le cinéaste. Et pour les harkis, d’hommes pris dans un piège qu’ils sentent se refermer sur eux. » Dans ce film à la Robert Bresson, il ne ménage personne, ni l’État français, ni le FLN. « On ne doit pas occulter que l’une des causes de l’engagement des harkis côté français (en dehors des raisons de survie, de non-choix) a été les violences de certains éléments du FLN, qui ont poussé beaucoup d’Algériens à rejoindre les harkis après l’assassinat de proches. Et on ne doit pas non plus occulter que les harkis ont été, pour certains d’entre eux, des instruments parfois zélés de la répression. »
Ce n’est donc pas un film aimable, ce qui le rend, évidemment, digne d’être aimé…

https://www.telerama.fr/cinema/de-la-guerre-sans-nom-aux-harkis-le-regard-tardif-mais-franc-du-cinema-sur-la-guerre-d-algerie-7012526.php

lire aussi l’article sur Pjilippe Faucon et son film "Les Harkis"
https://www.telerama.fr/cinema/le-cineaste-philippe-faucon-l-histoire-des-harkis-demande-qu-on-sorte-des-representations-manicheennes-7012478.php

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