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En Algérie, la loi du 2 mai met en danger la création cinématographique

lundi 27 mai 2024, par Michel Berthelemy

À Cannes, le cinéma d’Algérie s’inquiète d’une loi qui “fige et assigne les cinéastes à une pensée unique”

Par Mathilde Blottière – Télérama – 23 mai 2024

L’actualité s’invite sur la Croisette, où une loi sur l’industrie cinématographique promulguée le 2 mai en Algérie préoccupe des artistes du pays. La réalisatrice Sofia Djama explique pourquoi.
Le 2 mai, la loi relative à l’industrie cinématographique algérienne (votée par le Conseil de la nation en avril) est parue au Journal officiel du pays.
Si elle prévoit le soutien de l’État à la production, des mesures susceptibles d’inciter les investisseurs à s’engager dans le domaine du cinéma ou encore la promotion de la formation, elle recèle également des dispositions extrêmement contraignantes qui pourraient sérieusement entraver la liberté de création et, du même coup, la production de films en Algérie. On a demandé à Sofia Djama (Les Bienheureux) de nous expliquer en quoi cette loi est dangereuse.

Qu’y a-t-il dans cette loi qui n’est pas acceptable pour les cinéastes d’Algérie ?

Sofia Djama. En dehors de l’absence de vision et des incohérences et lourdeurs administratives annoncées, c’est l’article 4 qui pose le plus problème. Il indique que nous, cinéastes, pourrons exercer notre art « librement » à condition de respecter « des valeurs et constantes nationales » dont les religions, l’unité nationale, la souveraineté, l’intégrité du territoire, les intérêts suprêmes de la nation et les principes de la révolution du 1 ?? novembre 1954… Au cas où ces conditions ne seraient pas remplies, l’article 73 prévoit une à trois années de prison pour « quiconque exerce et/ou finance les activités de production et/ou de tournage et/ou de distribution et/ou d’exploitation des films ». C’est tout simplement liberticide. Les cinéastes sont des justiciables comme les autres et le ministère de la Culture n’a pas à se substituer à la police et à la justice. Cette loi veut nous empêcher de créer et de questionner le monde. Elle fige et assigne les cinéastes à une pensée unique, par ailleurs infectée par le projet des populistes et des islamistes.

Concrètement, quels sujets les réalisatrices et réalisateurs algériens doivent-ils éviter d’aborder dans les films s’ils ne veulent pas d’ennuis ?

Je ne suis pas particulièrement courageuse, je n’ai pas envie d’échouer en prison pour un film mais, honnêtement, je ne vois pas ce que je pourrais réaliser sans tomber dans une forme d’autocensure. Le risque, c’est de fabriquer un cinéma prudent, sans relief, sans saveur. Un cinéma qui ne questionne pas le monde, la société, ses croyances, ses échecs, ses réussites. Le mot « constantes » employé dans ce contexte est un problème en soi car, par définition, le monde n’est pas constant, la nature n’est pas constante ! Cela me rend très triste car, selon moi, la révolution algérienne s’est construite sur un désir de liberté et d’émancipation précisément à l’opposé de cette loi. Nous allons devenir des cinéastes obéissants qui se tiendront bien sages…

Cette loi complique aussi la mise en place de coproductions internationales. Avec quelles conséquences pour le cinéma algérien ?

Il y aura sans doute des tournages de films qui seront dans les clous… Les autres seront tournés ailleurs : en Tunisie, en Italie, en France, en Turquie, en Jordanie ou dans les studios AlUla en Arabie saoudite. Pourtant, j’aurais tellement aimé promouvoir l’Algérie au Festival de Cannes comme une terre d’accueil pour les coproductions : avec sa géographie, son climat, ses ressources humaines, ce pays a un potentiel de cinéma incroyable !

Source Télérama. Réservé aux abonnés

https://www.telerama.fr/cinema/a-cannes-le-cinema-d-algerie-s-inquiete-d-une-loi-qui-fige-et-assigne-les-cineastes-a-une-pensee-unique-7020576.php?xtor=EPR-126&at_medium=newsletter&at_campaign=nl_quot

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